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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


vengea, en ruffian, des maîtresses qui le congédiaient ; il adressa aux amants plus âgés qui les entretenaient les lettres qu’elles lui avaient écrites[1].

Balzac, qui a tout vu, a deviné Esterhazy ; il l’a décrit, comme s’il l’avait eu pour modèle, dans le colonel Philippe Bridau, emporté par le même torrent dans les mêmes hontes, fanfaron et brutal, endurci par l’exercice de la force, irrité par la pauvreté, dépravé par la débauche, cachant sous « le laisser aller militaire » une astuce d’aigrefin, théoricien du vice, filoutant ses maîtresses et « devenu ce que le peuple nomme assez énergiquement un chenapan[2] ».

VI

Il s’est trouvé de tels hommes dans toutes les armées ; la plupart se sont montrés aussi misérables dans la guerre que dans la paix, parce que le courage physique, tout inférieur qu’il est au courage moral, s’accorde mal avec certains vices ; — quelques-uns à peine ont bifurqué vers la gloire, quand la bataille leur a fourni l’emploi de forces qui s’exaspéraient dans l’inaction.

Esterhazy n’a pas eu cette fortune ; lui fût-elle venue

    une ancienne danseuse de l’Opéra dont il était l’amant. Dans une des lettres à Mme de Boulancy, il est fait allusion à une autre affaire du même genre, où la plaignante est aussi une danseuse.

  1. L’un de ces incidents a été raconté, à plusieurs reprises, tant par la comédienne. Léonide Leblanc, qui en fut victime, que par le duc d’Aumale, qui n’appelait Esterhazy que « cette canaille ». — Esterhazy, au temps où il était l’amant de cette comédienne, racontait qu’il l’était par ordre du Gouvernement, pour « surveiller le duc ».
  2. Scènes de la vie de province : Un ménage de garçon (Édit. de 1853), VI, 94. — Voir Taine, Nouveaux essais de critique, 112.