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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

IV

Marie-Charles-Ferdinand Walsin-Esterhazy avait dix ans à la mort de son père[1] ; sa mère s’établit, dans des conditions très modestes, à Paris[2].

Ses camarades du lycée Bonaparte[3] ont gardé le souvenir d’un garçon maigre, au teint mat, le nez pointu, les lèvres minces, et presque pauvrement vêtu, d’une longue blouse qui semblait coupée dans un vieux manteau de général, le col de velours très haut, crasseux, masquant l’absence de linge. Il vivait à l’écart, ne cherchait pas à se lier, tranchant et sec, de répartie prompte, et trouvait alors le mot acéré et méchant. On ne l’aimait pas, mais on avait le sentiment qu’il n’était point banal, d’une intelligence précoce, si parfaitement étranger aux jolis enthousiasmes de son âge, dur de cœur, aigri déjà de ne pas être riche, sans autre ambition que la volonté nette de le devenir et de jouir de la vie.

Sa mère avait décidé qu’il entrerait à l’École de Saint-Cyr, ne concevant pas d’autre carrière pour le fils d’un général et le descendant de tant de soldats. Mais Ester-

  1. Né le 16 décembre 1847 à Paris, 23, rue de Clichy. Il était de trois ans l’aîné de sa sœur.
  2. Elle occupait un petit appartement au n° 18 de la rue de Berlin.
  3. Esterhazy entre au lycée Bonaparte (classe de quatrième) en 1860. Il suit, à partir de la troisième, la section des sciences. Au palmarès de 1861, il est porté pour cinq accessits ; à celui de 1862, pour un second prix de narration française et un accessit. Il suit les cours de seconde jusqu’en mars 1863 et quitte alors le lycée. Je note, parmi ses professeurs, Camille Rousset pour l’histoire, Desboves et Tombeck pour les mathématiques, Cucheval et Legouëz pour les lettres.