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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XIV

L’attitude de Dreyfus pendant son séjour à la Santé, au lendemain de la dégradation, avait ému le directeur de la prison[1] et l’avait persuadé de son innocence. Ce fut le destin commun de tous ses geôliers, un seul excepté. Un jour que deux des sœurs[2] du condamné étaient venues le voir, ce directeur osa leur dire sa conviction, mais que deux hommes seulement, à sa connaissance, pourraient prendre utilement en mains une cause aussi désespérée : Drumont et Bernard Lazare.

L’idée de s’adresser à Drumont parut ironique ; on s’informa de Bernard Lazare. C’était un tout jeune homme, de famille juive, qui avait déjà conquis sa place dans la politique et les lettres[3]. Un vigoureux essai sur l’Antisémitisme, « nourri de faits, d’un bel effort d’impartialité[4] », avait forcé l’estime de Drumont

  1. Patin. (Voir t. I, 562.)
  2. Mme Cahn et Mme Schil.
  3. Lazare-Marius Bernard, dit Bernard Lazare, né à Nîmes le 14 juin 1865. Après avoir passé à l’École des hautes études, il entra dans le journalisme. Il préconisa, dans ses articles, la jeune école littéraire et attaqua Zola.
  4. L’Antisémitisme, son histoire et ses causes (Paris, 1894). « C’est un livre remarquable, écrivait Drumont, fort nourri de faits et dominé d’un bout à l’autre par un bel effort d’impartialité, par la consigne donnée au cerveau de ne pas céder aux influences de races. » (Libre Parole du 10 janvier 1895.) — Bernard Lazare, dans son livre, avait reconnu les qualités littéraires de Drumont : « Polémiste de talent, satiriste plein de verve, il a eu une grande influence de propagandiste. » (241.) Mais c’est un sociologue médiocre : « Toute la partie pseudo-historique de ses livres, lorsqu’elle n’est pas tirée du Père Loriquet, n’est qu’un démarquage, maladroit et sans critique, de Gouguenot, de don Deschamps et de Crétineau-Joly. » (237.)