mous, leurs sens sont obtus ; leur vue, leur ouïe, leur tact sont morts avant eux ; leurs dents même, ces instruments de la vie, sont tombées, et ils croient vivre encore. En voilà un qui retourne chez lui et qui désire végéter encore longtemps. Il ne sent ni sa goutte ni sa paralysie ; il se feint plus jeune de quelques vingtaines d’années. L’âge a beau raisonner, il lui donne un démenti formel. Il espère, comme Éson, retrouver la jeunesse à force d’incantations, et il se vautre dans ces pensées, comme si le destin devait être aussi facilement dupé qu’il se dupe lui-même, et autant en emporte le vent. (On frappe au dedans.) Qu’est-ce que c’est, maintenant ? Un troisième ?
Chut ! retournez vous coucher ; j’entends sa voix ; c’est Corvino, notre beau marchand.
Faisons le mort.
Encore un peu d’opiat pour vos yeux. (Il lui graisse les yeux.) — Qui est là ? (Signor Corvino entre.) Corvino, arrivez, je souhaitais fort de vous voir ; comme vous seriez heureux, si vous saviez…
Pourquoi ? qu’y a-t-il ? qu’est-ce ?
L’heure tardive a enfin sonné, monsieur.
Il n’est pas mort ?
Mort ! non, mais il n’en vaut pas mieux. Il ne reconnaît plus personne.