les escrocs de haut et bas étage, qu’il ne s’y reconnaît plus, se laisse lui-même duper et retourne au sombre empire honni, bafoué par tout le monde.
En 1618, Jonson fit à pied le voyage d’Ecosse et y passa plusieurs mois, s’arrêtant de château en château dans les environs d’Edimbourg. Sa dernière visite fut chez William Drummond, le poëte d’Hawthornden qui le garda un mois. Son hôte a laissé une relation de cette visite qu’il est curieux de consulter ; mais en se méfiant, nous dit M. Gifford, de l’esprit envieux qui l’a dictée. Voici le portrait qu’il fait de son ami : « Ben Jonson s’aimait et se louangeait lui-même, méprisant et dédaignant les autres ; il eût plus volontiers perdu un ami qu’un jeu de mots, et se montrait jaloux de tout ce qui se disait ou se faisait autour de lui, surtout après le vin qui était l’élément ordinaire de sa vie. Il faisait peu de cas des qualités qu’il possédait, et se vantait. de celles qu’il n’avait pas ; il ne trouvait rien de bon que ce que lui ou ses amis avaient fait. C’était toujours avec passion qu’il était obligeant ou colère ; insouciant à gagner comme à garder, et vindicatif, à moins qu’on ne lui répondît vertement, il interprétait au pire tout ce qui se dit et se fait. Indifférent en matière de religion, il en a changé deux fois. »
Ce portrait peu flatté renferme évidemment quelques vérités. Il est clair pour nous que Ben Jonson avait une nature violente dans un corps robuste et athlétique ; son portrait nous le montre avec une énorme face, une vigoureuse mâchoire, des yeux profonds et durs, un cou de taureau. Sa peau avait été, de bonne heure, couturée par le scorbut ; et lui-même dit quelque part qu’il eut, dans le milieu de sa vie, une montagne pour ventre et un dandinement disgracieux pour démarche. Tous ses traits fortement accentués, anguleux ou carrés, dénoncent l’énergie, l’orgueil et l’amour des luttes de toute nature. Il aimait la bonne chère et le vin ; sa prédilection pour le vin des Canaries avait, disait-il, pour excuse la nécessité de sa constitution scorbutique. Il avait l’esprit semblable au corps ; malgré ses études classiques, il était loin d’être un Athénien, c’était un Anglo-Saxon enté sur un Romain de la décadence. Généreux, libéral, prodigue, il tint toujours table ouverte, même lorsque la misère était devenue l’hôte de son foyer.
Elle y était arrivée, en effet, bien vite. Le règne de Jacques