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XII
NOTICE

d’œuvre, Volpone ou le Renard, paru en 1605. Bien que ses contemporains voulussent encore y trouver des allusions à des personnages connus, on voit bien que l’auteur n’y a pas songé : il s’élève à la haute comédie, et dépasse tous ses prédécesseurs de Rome et d’Athènes, aussi bien que ses contemporains.

À cette époque de sa vie, Ben Jonson, s’il avait des ennemis, avait cependant l’estime et l’amitié des hommes les plus honorables de l’Angleterre. Il avait, outre la réputation d’être l’homme le plus lettré des trois royaumes, celle d’être un bon, joyeux et spirituel convive. Dans le club de la Sirène, créé par le célèbre sir Walter Raleigh, se réunissaient tous les grands esprits du temps : Shakspeare, Beaumont, Fletcher, Selden, Cotton, Carew. Ben Jonson en était l’oracle ; entre Shakspeare et lui, il y avait assaut d’esprit, de fines plaisanteries et de bons mots, sans doute quelques discussions sur l’art dramatique, dans lesquelles on ne se convainquait pas mutuellement, mais qui mettaient en perspective les évolutions du gros galion espagnol et du vaisseau de guerre anglais[1]. Beaumont, dans une épître à notre poëte, s’écrie : « Que de choses nous avons vues et faites au club de la Sirène ! quel échange de propos vifs et pleins d’une flamme subtile ! Il semblait que chacun des interlocuteurs prodiguât tous les trésors de son esprit dans ces badinages. »

L’avénement de Jacques fut favorable à la fortune de Ben Jonson : c’est lui qui composa le plus grand nombre de ces masques ou divertissements qui égayèrent si longtemps la cour d’Angleterre. Ben Jonson y excellait, et s’y montre poëte aussi élégant, aussi gracieux qu’il est rude et quelquefois violent dans ses pièces de théâtre. Dans un de ces masques, on est surpris de voir joint à son nom celui de Decker, avec lequel il avait échangé de si terribles coups de lance littéraires. C’est une preuve que, s’il avait de la vivacité dans l’attaque, il n’avait pas de rancune dans le souvenir.

  1. « Je les considérais tous deux, l’un comme un grand galion espagnol et l’autre comme un vaisseau de guerre anglais ; Jonson était le galion solide, mais lourd dans ses évolutions ; Shakspeare, le vaisseau anglais, plus léger, virait de bord soudainement, et profitait de tous les vents par la vivacité de son esprit et de son imagination. » (Fuller’s Worthies.)