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VOLPONE.

dans la comédie composée pour la réception du grand Valois[1], je jouais le rôle d’Antinous, et attirais les regards de toutes les dames présentes qui admiraient mes gestes, ma voix et ma démarche.

(Il chante.)

« Viens, ma Célia, livrons-nous aux jeux de l’amour, tandis que nous le pouvons ; le temps ne nous appartiendra pas toujours ; à la longue il séparera nos cœurs ; ne dépensons pas en vain ses dons précieux ; le soleil, lorsqu’il se couche[2], peut et doit se lever de nouveau ; mais, si une fois nous perdons la lumière d’amour, nous resterons dans une nuit éternelle ; pourquoi différer nos joies ? L’opinion et la renommée ne sont que de vains mots ; ne pouvons-nous tromper les yeux de pauvres espions, ou duper leurs oreilles par notre ruse ? Ce n’est point un péché de dérober les fruits de l’amour ; c’en est un de révéler ses doux larcins : être surpris, voilà tout ce qui mérite le nom de crime.

CELIA.

Que les vapeurs du ciel m’enveloppent ! qu’un éclair sans pitié frappe et déchire mon visage !

VOLPONE.

Pourquoi ma Célia s’afflige-t-elle ? Tu as, au lieu d’un vil époux, un amant digne de toi. Mets à profit ta

  1. Allusion aux fêtes magnifiques qui furent données à Venise, en 1574, à l’occasion du passage d’Henri de Valois, revenant de Pologne pour prendre possession de la couronne de France, après la mort de son frère Charles IX.
  2. Vivamus, mea Lesbia, atque amemus,
    Rumoresque senum severiorum
    Omnes unius aestimemus assis.
    Soles occidere et redire possunt ;
    Nobis, cum sémel occidit brevis lux,
    Nox est perpetua una dormiunda,
    Dame basia mille, deinde centum, etc,

    (Catulle.)