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eux, grand Primus Motor ! À genoux, frappant la terre, je livre leurs âmes aux peines éternelles, aux suprêmes tortures du feu, en échange de ma profonde détresse !

Premier juif

Sois calme, mon bon Barabas.

Barabas

O méchants frères, nés pour voir un pareil jour, pourquoi demeurez-vous insensibles à mes tourments ? Pourquoi ne pleurez-vous pas à la vue de mes malheurs ? Et pourquoi, vaincu, ne succombé-je pas à ma détresse ?

Premier juif

Nous courbons la tête sous les mains cruelles qui s’appesantissent sur nous. Et pourtant ils ont confisqué la moitié de nos biens !

Barabas

Il fallait vous opposer à leur extorsion ! Vous étiez en nombre et je demeurais seul. Je suis aussi le seul auquel ils aient tout pris !

Premier juif

Frère Barabas, souviens-toi de Job

Barabas

Vous me parlez de Job ? On a fait l’énumération de ses richesses. Il ne possédait que sept mille moutons, trois mille chameaux, deux cents bœufs de labour, et cinq cents ânesses ! Tandis que moi, dans mes caisses, sur mes galères, sur d’autres vaisseaux revenus d’Égypte, je possédais plus qu’il ne m’en fallait pour acheter Job et ses bêtes, à quelque prix que ce fût ! Maudit le jour qui m’a vu naître ! J’aspire à une nuit éternelle ! Je voudrais que des nuages obscurs m’entourassent pour dérober tant de misères à mes yeux !

Deuxieme juif

Sois patient, Barabas.

Barabas

Je vous en conjure, laissez-moi avec votre patience ! Vous ignorez la richesse, vous vous plaisez dans le besoin ! Laissez donc à son désespoir celui qui, sur un champ de bataille, désarmé, entouré d’ennemis, regarde ses soldats morts, sans trouver le moyen de se délivrer. Laissez-moi déplorer un mal aussi soudain ! Je parle dans le trouble de mon esprit ! D’aussi graves injures ne s’oublient pas si vite.

Premier juif

Allons, laissons-le. Nos paroles l’irriteraient encore !