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sur la terre n’a point été étranger à cette grande émancipation.

Vous êtes né, Machiavel, sur les limites du moyen-âge, et vous avez vu, avec la renaissance des arts, s’ouvrir l’aurore des temps modernes ; mais la société au milieu de laquelle vous avez vécu, était, permettez-moi de le dire, encore tout empreinte des errements de la barbarie ; l’Europe était un tournoi. Les idées de guerre, de domination et de conquête remplissaient la tête des hommes d’État et des princes. La force était tout alors, le droit fort peu de chose, j’en conviens ; les royaumes étaient comme la proie des conquérants ; à l’intérieur des États, les souverains luttaient contre les grands vassaux ; les grands vassaux écrasaient les cités. Au milieu de l’anarchie féodale qui mettait toute l’Europe en armes, les peuples foulés aux pieds s’étaient habitués à regarder les princes et les grands comme des divinités fatales, auxquelles le genre humain était livré. Vous êtes venu dans ces temps pleins de tumulte, mais aussi pleins de grandeur. Vous avez vu des capitaines intrépides, des hommes de fer, des génies audacieux ; et ce monde, rempli de sombres beautés dans son désordre, vous est apparu comme il apparaîtrait à un artiste dont l’imagination serait plus frappée que le sens moral ; c’est là ce qui, à mes yeux, explique le Traité du Prince, et vous n’étiez pas si loin de la