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Ce qui me reste à faire maintenant ne consiste plus que dans le développement des moyens moraux qui sont en germe dans mes institutions. Mon règne est un règne de plaisirs ; vous ne me défendez pas d’égayer mon peuple par des jeux, par des fêtes ; c’est par là que j’adoucis les mœurs. On ne peut pas se dissimuler que ce siècle ne soit un siècle d’argent ; les besoins ont doublé, le luxe ruine les familles ; de toutes parts on aspire aux jouissances matérielles ; il faudrait qu’un souverain ne fût guère de son temps pour ne pas savoir faire tourner à son profit cette passion universelle de l’argent et cette fureur sensuelle qui consume aujourd’hui les hommes. La misère les serre comme dans un étau, la luxure les presse ; l’ambition les dévore, ils sont à moi. Mais quand je parle ainsi, au fond c’est l’intérêt de mon peuple qui me guide. Oui, je ferai sortir le bien du mal ; j’exploiterai le matérialisme au profit de la concorde et de la civilisation ; j’éteindrai les passions politiques des hommes en apaisant les ambitions, les convoitises et les besoins. Je prétends avoir pour serviteurs de mon règne ceux qui, sous les gouvernements précédents, auront fait le plus de bruit au nom de la liberté. Les plus austères vertus sont comme celle de la femme de Joconde ; il suffit de doubler toujours le prix de la défaite. Ceux qui résisteront à l’argent ne résisteront pas aux honneurs ; ceux qui résisteront aux honneurs