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les gentilshommes de la plus vieille roche. Beaucoup d’antiques noms seraient éteints sans doute ; en vertu de mon pouvoir souverain, je les ferais revivre avec les titres, et l’on trouverait à ma cour les plus grands noms de l’histoire depuis Charlemagne.

Il est possible que ces conceptions vous paraissent bizarres, mais ce que je vous affirme, c’est qu’elles feront plus pour la consolidation de ma dynastie que les lois les plus sages. Le culte du prince est une sorte de religion, et, comme toutes les religions possibles, ce culte impose des contradictions et des mystères au-dessus de la raison[1]. Chacun de mes actes, quelque inexplicable qu’il soit en apparence, procède d’un calcul dont l’unique objet est mon salut et celui de ma dynastie. Ainsi que je le dis, d’ailleurs, dans le Traité du Prince, ce qui est réellement difficile, c’est d’acquérir le pouvoir ; mais il est facile de le conserver, car il suffit en somme d’ôter ce qui nuit et d’établir ce qui protège. Le trait essentiel de ma politique, comme vous avez pu le voir, a été de me rendre indispensable[2] ; j’ai détruit autant de forces organisées qu’il l’a fallu pour que rien ne pût plus marcher sans moi, pour que les ennemis mêmes de mon pouvoir tremblassent de le renverser.

  1. Esp. des lois, liv. XXV, chap. II, p 386.
  2. Traité du Prince, chap. IX, p. 63.