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relâche contre Louis XII, contre les Espagnols, contre Jules II, contre Borgia lui-même qui, sans moi, l’eût étouffée. Je l’ai protégée contre les intrigues sanglantes qui se croisaient dans tous les sens autour d’elle, combattant par la diplomatie comme un autre eût combattu par l’épée ; traitant, négociant, nouant ou rompant les fils suivant les intérêts de la République, qui se trouvait alors écrasée entre les grandes puissances, et que la guerre ballottait comme un esquif. Et ce n’était pas un gouvernement oppresseur ou autocratique que nous soutenions à Florence ; c’étaient des institutions populaires. Étais-je de ceux que l’on a vus changer avec la fortune ? Les bourreaux des Médicis ont su me trouver après la chute de Soderini. Élevé avec la liberté, j’ai succombé avec elle ; j’ai vécu dans la proscription sans que le regard d’un prince daignât se tourner vers moi. Je suis mort pauvre et oublié. Voilà ma vie, et voilà les crimes qui m’ont valu l’ingratitude de ma patrie, la haine de la postérité. Le ciel, peut-être, sera plus juste envers moi.

Montesquieu.

Je savais tout cela, Machiavel, et c’est pour cette raison que je n’ai jamais pu comprendre comment le patriote florentin, comment le serviteur d’une République s’était fait le fondateur de cette sombre école qui vous a donné pour disciples toutes les têtes couronnées, mais qui est pro-