Page:Joly - Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 89 —

gnez dans le traité du Prince en racontant la sinistre exécution de Borgia dans Césène[1]. Vous êtes bien le même.

Machiavel.

Non, non, vous le verrez plus tard ; je n’agis ainsi que par nécessité, et j’en souffre.

Montesquieu.

Mais qui donc le versera, ce sang ?

Machiavel.

L’armée ! cette grande justicière des États ; elle dont la main ne déshonore jamais ses victimes. Deux résultats de la plus grande importance seront atteints par l’intervention de l’armée dans la répression. À partir de ce moment, d’une part elle se trouvera pour toujours en hostilité avec la population civile qu’elle aura châtiée sans ménagement, de l’autre elle se rattachera d’une manière indissoluble au sort de son chef.

Montesquieu.

Et vous croyez que ce sang ne retombera pas sur vous ?

Machiavel.

Non, car aux yeux du peuple, le souverain, en définitive, est étranger aux excès d’une soldatesque qu’il n’est pas toujours facile de contenir. Ceux qui pourront en être responsables, ce seront les généraux, les ministres qui auront exécuté

  1. Traité du Prince, p. 47, ch. VII.