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re en souriant. C’était bien le sinistre personnage que je croyais. Je cherchai des yeux un gardien de la paix. J’en aperçus un. Déjà quelques personnes se retournaient. Désormais, je tenais l’homme et l’empêchais de fuir. Je resserrai mon étreinte cependant et j’allais appeler le policier, lorsque le cul-de jatte me jeta à brûle-pourpoint :

— Prenez donc garde, mon cher, vous allez ameuter les passants.

Je rebondis comme un démon mécanique qui sort de sa boite : je venais de reconnaître Lautrec sous son déguisement.

Des passants s’étaient arrêtés autour de nous.

— Oui, dit très haut mon ami pour tromper la galerie, oui, c’est ainsi que tu me revois, n’est-ce pas, mon vieux camarade, après dix ans ! J’ai perdu mes jambes au Tonkin en combattant pour la patrie. Voilà où j’en suis réduit ! Où sont nos bonnes années de collège ?…

Le public comprenait que deux amis occupant des degrés opposés de l’échelle sociale venaient de se rencontrer par hasard. On jeta quelques sous dans la sébille du malheureux et on passa.

— Ce métier de mendiant est plus lucratif que celui de détective, me confia mon ami, quand nous fûmes seuls. À l’avenir, j’aurai deux cordes à mon arc. Maintenant, quittez-moi, pour ne pas me faire remarquer par les culs-de-jatte, mes frères en martyre. Et n’oubliez pas votre obole au malheureux, en même temps que votre poignée de main à l’ancien ami qu’on ne renie pas.

J’obéis et continuai ma route. J’avais compris la tactique de Lautrec : il était entré dans la peau de l’homme mystérieux qu’il