à l’insuffisance ou à l’obscurité des raisons sur lesquelles repose ma conviction : cette difficulté n’est pas autre que celle que doit affronter tout homme qui engage la lutte contre un sentiment général et puissant.
Tant qu’une opinion est implantée sur les sentiments, elle défie les arguments les plus décisifs ; elle en tire de la force au lieu d’en être affaiblie : si elle n’était que le résultat du raisonnement, le raisonnement une bonne fois réfuté, les fondements de la conviction seraient ébranlés ; mais, quand une opinion n’a d’autre base que le sentiment, plus elle sort maltraitée d’un débat, plus les hommes qui l’adoptent sont persuadés que leur sentiment doit reposer sur quelque raison restée hors d’atteinte. Tant que le sentiment subsiste, il n’est jamais à court de théories ; il a bientôt réparé les brèches de ses retranchements. Or, nos sentiments sur l’inégalité des sexes sont pour bien des causes les plus vivaces et les plus enracinés de tous ceux qui entourent et protègent les coutumes et les institutions du passé. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils soient les plus fermes de tous, qu’ils aient le mieux résisté à la grande révolution intellectuelle et sociale des temps modernes, il ne faut pas croire non plus que les institutions le plus longtemps respectées soient moins barbares que celles qu’on a détruites.