Page:John Stuart Mill - De l’assujettissement des Femmes.djvu/173

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fond des choses pour lesquelles il fait ces sacrifices ; si elle croit que cette cause les vaille, c’est de confiance et uniquement pour l’amour de lui, elle ne peut partager l’enthousiasme qui le porte ou l’approbation que sa conscience lui donne ; tandis que ce qu’il veut sacrifier, c’est ce qui est pour elle le plus précieux. L’homme le meilleur et le plus désintéressé n’hésitera-t-il pas longtemps avant de faire tomber sur sa femme les conséquences de son choix ? Quand il ne s’agirait pas de sacrifier le bien-être de la vie, mais seulement la considération sociale, le fardeau qui pèserait sur sa conscience serait encore très lourd. Quiconque a une femme et des enfants a donné des otages à l’opinion du monde. L’approbation de cette puissance peut être pour un homme un objet indifférent, mais pour sa femme c’en est un très important. L’homme peut se mettre au-dessus de l’opinion ou se consoler de ses jugements par l’approbation de ceux qui pensent comme lui ; mais à sa femme et à ses filles il ne peut offrir aucune compensation. La tendance à peu près invariable qui porte la femme à mettre son influence du côté où l’on gagne la considération du monde lui a été souvent reprochée, on y a vu un trait de faiblesse ou de puérilité. Ce reproche est assurément une grande injustice. La société fait de la vie entière des femmes, dans les classes aisées, un sacrifice