Page:John Stuart Mill - De l’assujettissement des Femmes.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que les choses que les femmes ne sont pas admises à faire sont justement celles auxquelles elles sont particulièrement propres, puisque leur vocation pour le gouvernement s’est fait jour et a brillé dans les rares circonstances qui leur ont été données, tandis que dans les voies glorieuses qui leur étaient ouvertes en apparence, elles sont bien loin d’avoir brillé du même éclat. L’histoire nous fait voir seulement un petit nombre de reines en comparaison avec le nombre des rois, et encore dans ce petit nombre la proportion des femmes qui ont montré les talents du gouvernement, est-elle bien plus grande, quoique plusieurs aient occupé le trône dans des circonstances difficiles. Il faut remarquer aussi qu’elles se sont souvent distinguées par les qualités les plus opposées au caractère imaginaire et conventionnel qu’on attribue à leur sexe : elles ont été aussi remarquables par la fermeté et la vigueur qu’elles ont imprimées à leur gouvernement que par leur intelligence. Si aux reines et aux impératrices nous ajoutons les régentes et les gouvernantes de provinces, la liste des femmes qui ont brillamment gouverné les hommes devient très longue[1]. Ce fait est si incontestable, que, pour

  1. Cette remarque devient encore plus vraie, si nous étendons nos observations à l’Asie aussi bien qu’à l’Europe. Quand une principauté de l’Inde est gouvernée avec vigueur, vigilance et économie, quand l’ordre y règne sans oppression, quand la culture des terres y devient plus étendue et le peuple plus heureux, c’est trois fois sur quatre qu’une femme y règne. Ce fait, que j’étais loin de prévoir, m’a été révélé par une longue pratique des affaires de l’Inde. Il y en a beaucoup d’exemples ; car, bien que les institutions hindoues excluent les femmes du trône, elles leur donnent la régence pendant la minorité de l’héritier ; et les minorités sont fréquentes dans un pays où les princes périssent prématurément victimes de l’oisiveté et de leurs débauches. Si nous songeons que ces princesses n’ont jamais paru en public, qu’elles n’ont jamais parlé à un homme qui ne fût pas de leur famille, si ce n’est cachées par un rideau, qu’elles ne lisent pas, et que, si elles lisaient, elles ne trouveraient pas dans leur langue un livre capable de leur donner la plus faible notion des affaires publiques ; nous resterons convaincus qu’elles présentent un exemple saisissant de l’aptitude naturelle des femmes pour le gouvernement.