Page:Johann David Wyss - Le Robinson suisse (1861).djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
450
le robinson suisse.

J’eus de la peine à retenir Fritz, qui aurait voulu se jeter à l’eau pour suivre la chaloupe à la nage ; mais je réprimai son impatience, et, j’ajouterai encore, la mienne : en réfléchissant bien, nous ne pouvions pas être encore tout à fait rassurés. Tout ce que nous savions, c’était que nous voyions un navire européen ; mais il était encore possible que des pirates malais s’en fussent emparés, ou bien que l’équipage anglais lui-même se fût révolté et eût massacré ses officiers. En conséquence, nous débarquâmes derrière un rocher, sur lequel nous montâmes, et de là, à l’aide de lunettes d’approche, nous pûmes examiner l’objet de notre vive curiosité. Je crus reconnaître que le bâtiment que nous voyions était un yacht léger, armé de huit ou dix petits canons. Les voiles, les cordages et les huniers étaient entiers. Le navire, à l’ancre, semblait être en réparation. Sur le rivage étaient dressées trois tentes, d’où s’élevait une fumée qui annonçait les préparatifs d’un repas. L’équipage ne paraissait pas être nombreux ; par conséquent, nous le jugeâmes peu à craindre. Nous crûmes pouvoir distinguer à bord deux sentinelles, et, à travers les sabords ouverts, on voyait sortir les bouches des canons.

Après mûre réflexion, je jugeai qu’il n’y aurait pas d’imprudence à nous montrer ; nous résolûmes cependant de ne pas quitter notre caïak, et, provisoirement, de ne pas nous faire connaître. Nous nous dirigeâmes vers la baie, en prenant l’air de personnes timides et étonnées.

Un officier se montra alors sur le pont du yacht, et Fritz me fit remarquer qu’il avait la peau blanche et les traits européens ; il pensa que c’était le capitaine, d’autant plus qu’il lui trouva le maintien d’une personne accoutumée au commandement. « Il faut d’abord, lui dis-je, que nous chantions une chanson suisse, en faisant de grands gestes, après quoi nous prononcerons quelques mots en mauvais anglais, et nous verrons ce qui en résultera. »

Nous nous approchâmes donc encore un peu du bâtiment