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le robinson suisse.

lui faire des obsèques honorables à la première occasion qui se présenterait. Je ne pouvais oublier que les derniers moments de sa vie avaient été employés à ma défense.

« Mais un objet d’un plus haut intérêt ne tarda pas à fixer toute mon attention. Comme je faisais le tour des deux écueils, j’aperçus tout à coup à une assez grande distance une petite pile de laquelle s’élevait une colonne de fumée ; je me dis aussitôt : « Voici la Roche fumante, séjour de l’Anglaise naufragée ; ramons vigoureusement vers cet endroit. »

« J’en fus bientôt si près, qu’il m’eût été facile de distinguer un être humain qui s’y serait trouvé ; mais la fumée s’élevait du côté opposé du rocher ; et déjà je calculais que je serais sans doute obligé d’en faire le tour pour débarquer, quand je remarquai un petit plateau en pierre où je pouvais amarrer ma barque ; je sautai à terre avec autant de promptitude que jadis Guillaume Tell. Quelques pierres placées par échelons me facilitèrent la montée vers une partie élevée du rocher, d’où, avec une joie inexprimable, je vis enfin la première étrangère qui se fût offerte à moi depuis tant d’années. C’était une jeune personne assise auprès d’un feu dont la fumée s’élevait à une grande hauteur. Au bruit que je fis, l’étrangère se leva, m’aperçut, joignit les mains, et attendit en silence que je m’approchasse d’elle. Je ne me hâtai point, pour ne pas l’effrayer et pour qu’elle ne me prit pas pour un brigand. Quand je ne fus plus qu’à dix pas, je lui dis d’une voix émue : « Je vous salue, Anglaise naufragée de la Roche fumante ! Voici le libérateur que votre appel, grâce à la providence divine, a amené de loin auprès de vous ! »

« Quoique je ne sois pas très-versé dans la langue anglaise, la jeune personne comprit parfaitement sur-le-champ ce que je voulais lui dire. Il semblait que nos âmes eussent pu se communiquer l’une à l’autre sans faire usage de la parole. Un long silence suivit nos premières exclamations. De temps à autre je saisissais la main de l’étrangère, comme pour m’assurer que ce n’était point une illusion qui égarait mes