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le robinson suisse.

s’était vu souvent en butte aux railleries de ses frères, et cela avait déterminé chez lui une prudence plus grande qu’on n’a droit raisonnablement d’en attendre d’un enfant de dix-sept ans.

Mes quatre fils avaient, d’ailleurs, conservé un caractère naïf et enfantin qu’ils eussent perdu beaucoup plus tôt s’ils fussent restés dans la société en contact avec des jeunes gens de leur âge. Ma femme et moi maintenions sur eux toute notre autorité, et, s’il leur arrivait quelquefois de se passer de notre permission, au moins n’avions-nous jamais à leur reprocher une véritable désobéissance. Mes ordres formels étaient toujours exécutés ponctuellement, car ils savaient que je n’avais en vue que le bien général, et leur confiance en mon expérience leur suffisait pour se soumettre à ce que j’avais décidé. Je voyais avec plaisir l’union et la concorde s’affermir de plus en plus entre eux tous ; c’était une conséquence de l’esprit profondément religieux dont chacun d’eux était animé. Avec l’amour de Dieu se développait chez eux l’amour de la famille.

Tel était l’état de notre petite colonie dix années après sa fondation ; pendant ce temps, nous n’avions eu aucun rapport avec la société ; mais nous gardions l’espoir de voir un jour aborder sur cette terre écartée quelques marins européens, et cet espoir soutenait notre courage et entretenait notre activité. Ainsi nous avions amassé tout ce qui nous paraissait le plus précieux, afin qu’un jour, si la Providence le voulait, ces richesses coloniales pussent être converties en une somme assez forte dont nous aurions besoin dans nos relations avec le monde civilisé. Tous les ans, notre provision de plumes d’autruche s’augmentait dans ce but, et, en outre, nous conservions des petites cargaisons de thé, de cochenille, de vanille, de cacao, de muscades, d’essences d’orange ou de cannelle, en prenant soin que ces produits ne perdissent rien de leur vertu ni de leur arôme.

Tout cela devait nous servir plus tard, nous l’espérions,