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le robinson suisse.

cune parole, afin que ces oiseaux pussent nous prendre pour des pierres comme celles qui nous entouraient. Mais ces recommandations, fort bonnes pour mes fils, devinrent inutiles, car les chiens, malgré nos efforts pour les faire tenir silencieux et tranquilles, n’eurent pas plutôt vu le mâle autruche s’avancer de quelques pas encore vers nous, qu’ils se mirent à aboyer avec force, et, rompant leurs liens, se précipitèrent sur lui.

À cette attaque intempestive, toutes les autruches prirent la fuite avec une rapidité incroyable. C’est à peine si elles touchaient la terre. Leurs ailes déployées, on eût dit un navire emporté par le vent, et les plumes de leur queue semblaient un panache ondoyant qui ajoutait encore à la grâce de leur démarche. Cependant elles s’éloignaient avec une telle vitesse, que nous allions cesser de les voir, quand Fritz ôta rapidement le capuchon à son aigle, qui prit aussitôt son vol dans les airs.

Après avoir été un instant ébloui par l’éclat subit de la lumière, il ne tarda pas à voler à tire-d’aile dans la direction des fugitifs, et, planant aussitôt au-dessus du mâle, il fondit sur lui avec la rapidité de l’éclair. Nous courûmes précipitamment vers le champ de bataille, mais nous arrivâmes trop tard : l’aigle avait enfoncé si profondément son bec dans le cou de la victime, qu’il l’avait presque entièrement séparé de la tête. La pauvre bête se roulait dans la poussière, et les chiens s’étaient jetés sur elle. Désespérant de pouvoir lui conserver la vie, je me hâtai de l’achever pour ne pas prolonger ses souffrances.

Nous prîmes ensuite les plus belles plumes de la queue et des ailes, que nous attachâmes pompeusement à nos chapeaux ; et c’était réellement une chose risible que ces magnifiques panaches au-dessus de si misérables coiffures. Nous semblions aussi fiers qu’un roi indien de ces colifichets propres tout au plus à donner de la vanité, et je ne pus m’empêcher de songer combien l’homme était petit et futile