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le robinson suisse.

aident fait l’éloge de ce mets. Il devait donc ne pas être aussi mauvais qu’on voulait bien le dire.

« Nous le saurons bientôt, repris-je ; en attendant, j’ai besoin d’un aide pour suspendre ces quarante jambons devant le feu. Ah ! s’ils étaient aussi gros que les jambons de Westphalie, nous aurions là une provision de bonne viande pour près de deux ans. Toutefois contentons-nous de ce que la Providence nous envoie. »

Nous préparâmes immédiatement la hutte fermée avec soin, et nous allumâmes un grand feu avec des branches et des herbes encore fraîches. La fumée était abondante. Tout alla bien dans cette opération ; nous retournâmes au rôti de Fritz. Après trois ou quatre heures de cuisson, on le retira du four, et aussitôt il répandit une odeur aromatique délicieuse qui ne pouvait évidemment venir ni de la viande elle-même, ni des pommes de terre qui la garnissaient. J’attribuai ce parfum aux feuilles et aux écorces dont Fritz s’était servi pour entourer son rôti, et je fis jeter tout, de suite quelques branches des mêmes arbres dans le feu devant lequel pendaient nos jambons, pour tâcher de leur donner une odeur analogue.

L’essai de cuisine otaïtienne réunit tous les suffrages, même ceux d’Ernest et de ma femme, qui avouèrent qu’ils ne s’attendaient certainement pas à un mets aussi délicat. Fritz était fier de son triomphe ; mais Ernest, pour plaisanter, lui fit observer que le hasard y avait la plus grande part ; car, selon lui, la bonté du mets dépendait beaucoup plus du parfum dont l’avaient imprégné les feuilles que de la préparation en elle-même. Cependant, comme après tout, effet du procédé de Fritz ou du hasard, il n’en était pas moins excellent, il me proposa de l’arroser d’une bouteille de vin de palmier. J’acceptai, et nous mîmes de côté pour le souper le chou palmiste provenant de l’arbre dont nous avions tiré le jus.

Pendant tout le dîner, je pensai à cette odeur des feuilles que Fritz avait employées, et, aussitôt que nous eûmes fini,