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le robinson suisse.

sidérant cette entreprise comme impossible, parlaient déjà de l’abandonner ; mais je leur reprochai leur peu de persévérance, et, après quelques minutes de réflexion, je m’écriai tout à coup :

« Le moyen, je l’ai trouvé ! Au lieu d’emporter nous-mêmes notre proie, c’est elle qui va nous conduire. Si Fritz se rappelle certaine aventure qui lui est arrivée, il doit se souvenir aussi que ces animaux nagent fort bien. »

Mettant aussitôt mon idée à exécution, j’amenai la barque en face de l’endroit où nous avions laissé notre butin, que nous remîmes sûr ses pattes en réunissant tous, nos efforts. J’attachai sur son dos la tonne d’eau douce que nous avions apportée et vidée, et le bout de la corde fut fixé solidement à l’avant du bateau. Je m’armai d’un aviron pour diriger la marche, et nous poussâmes la tortue à la mer. D’abord elle voulut plonger ; mais la tonne vide la retenait à la surface, en sorte qu’elle se mit à nager. Un coup de rame suffisait pour la maintenir dans la direction de Felsheim. Notre traversée se fit avec promptitude, et les enfants, enchantés de se laisser conduire sans fatigue, comparaient pompeusement notre pauvre bateau au char triomphal de Neptune.

J’eus soin, en débarquant, d’attacher solidement notre prise à un piquet fiché en terre ; mais, le lendemain matin, je vis que les efforts qu’elle avait faits pendant la nuit pour s’échapper avaient presque déraciné le pieu. Je jugeai alors qu’il était impossible de la conserver plus longtemps ; elle fut donc immédiatement jugée, condamnée et exécutée. Sa carapace nous fournit un beau bassin pour la fontaine, et sa chair, que ma femme ne mangeait d’abord qu’avec répugnance, fut alors déclarée excellente à l’unanimité.

Ernest et moi pensions que cette tortue devait appartenir à l’espèce connue sous le nom de tortue géante ou de tortue verte, la plus grosse et la plus estimée, au dire des voyageurs.

J’ai parlé déjà de mon dessein d’ensemencer à la fois tous