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le robinson suisse.

profondeurs, les a rejetées sur le rivage. Et comment pourriez-vous en être étonnés, puisque vous avez devant les yeux l’exemple de la puissance des flots, qui ont roulé jusqu’ici cet énorme cadavre ?

— En effet, répondit Fritz, il est énorme. Je n’aurais pas cru qu’une baleine fût si grosse. Au lieu de rester, comme des enfants, à regarder des coquillages, nous ferions mieux d’essayer de tirer parti de cette capture bien autrement importante.

— Bah ! dit Ernest, que prétends-tu faire d’une masse aussi informe ? Pour mon compte, j’aime bien mieux ce corail et ces huîtres brillantes. »

Fritz défendit sa cause, Ernest également, mais avec plus d’avantage ; car on voyait déjà paraître en lui cet amour du savant pour les merveilles de la nature. Voulant mettre fin à la discussion, j’intervins en disant que nous devions également admirer l’œuvre de Dieu dans ses plus grandes comme dans ses plus petites manifestations. « Tout est beau, ajoutai-je, dans la nature, depuis l’insecte invisible à l’œil de l’homme jusqu’à ces colosses majestueux de la terre ou des eaux, comme l’éléphant ou la baleine. Oui, tout est beau, parce que tout est dans l’ordre que le Créateur a assigné à ses créatures : il faut se défier de cette admiration de convention qui s’attache le plus souvent à la rareté et néglige cette qualité bien plus précieuse, l’utilité. »

Ayant mis ainsi tout le monde d’accord, je m’assurai, avant le départ, que la baleine était complètement morte et que nous n’aurions aucun danger à courir en venant le lendemain avec les outils nécessaires pour tirer tout le parti possible de notre trouvaille ; puis, chacun ayant pris sa part des coquillages, nous retournâmes vers notre embarcation.

Tout en marchant, je remarquai qu’Ernest nous suivait à contre-cœur ; on eût dit qu’il regrettait l’îlot ; et, en effet, le pauvre enfant, séduit par la perspective d’une vie tranquille donnée tout entière à l’étude de la nature, me confia son