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le robinson suisse.

la guerre à nos ennemis les singes ; mais nos pigeons nous donnèrent bien assez d’occupation, tant pour les plumer que pour les nettoyer et les mettre à la broche. Ma femme fut chargée de les ranger par couches superposées dans les tonneaux.

Le lendemain, dès l’aube, nous partîmes pour exécuter le projet de la veille. Mon intention n’était point d’user ma poudre contre les singes ; je voulais les prendre au moyen de ma glu, rendue à cet effet plus épaisse ; nous devions ensuite fondre sur eux avec nos bâtons et notre fronde à balles. Ma femme nous avait pourvus de nourriture pour deux jours. Le buffle portait nos bagages, et Jack et Ernest pardessus le marché ; moi, je montais l’âne ; Fritz était sur le dos de son onagre.

Chemin faisant, la conversation tomba naturellement sur notre fameuse expédition.

« C’est donc aujourd’hui, dis-je à mes enfants, que nous allons faire un massacre en masse de ces singes nos ennemis. J’ai laissé, à dessein, votre mère et François à la maison : ils sont trop sensibles pour pouvoir assister à des scènes affreuses de meurtre et de carnage.

fritz. — Je n’aime point les singes, et cependant je regrette d’être obligé à les exterminer.

moi. — Ce sentiment, qui part d’un bon cœur, est juste et louable, mon cher ami. Moi aussi, j’ai pitié de ces pauvres bêtes ; mais il est des circonstances où il faut, malgré soi, fermer l’oreille à la voix de la pitié. Les parents les plus tendres, les maîtres, les juges, sont forcés souvent de punir.

fritz. — Comment étouffer les sentiments de son cœur ?

moi. — Je me garderai bien, mon ami, de te dire d’étouffer les sentiments de ton cœur ; mais la raison passe avant tout ; prends garde que ta sensibilité, dégénérant en sensiblerie, ne te rende mou, indécis ; d’homme doux, tu deviendrais vite homme faible.