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le robinson suisse.

dant que nous pussions faire les cardes, les battoirs, les rouets, les dévidoirs dont notre chère ouvrière avait besoin, il me sembla plus sage de réserver tout ce travail pour la saison pluvieuse, que des grains assez forts nous annonçaient comme prochaine. Le ciel, jusqu’alors serein, devint chargé et noir ; les vents se déchaînèrent avec violence et nous avertirent de profiter des derniers beaux jours pour nos provisions.

Nous commençâmes par prendre une grande quantité de pommes de terre et de racines de manioc ; l’idée me vint alors de semer le peu de blé d’Europe que nous avions ; malgré les merveilleuses productions de l’île nous regrettions le pain de notre patrie. Comme je manquais d’instruments aratoires, en guise de herse, je fis passer sur mon semis de grosses branches entrelacées et chargées de pierres ; à Zeltheim, nous plantâmes des palmiers de toutes sortes, et un peu plus loin des cannes à sucre ; c’était choisir la saison favorable : les pluies développeraient les sucs nourriciers, détremperaient le sol et laisseraient à nos jeunes arbres le temps d’étendre et de fixer solidement leurs racines.

Ces différents travaux nous tinrent dans une continuelle activité pendant plusieurs semaines ; nous ne nous permettions plus de repas réguliers, il fallait manger en marchant, en bêchant, debout, à la hâte ; notre charrette allait tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, traçant sur son passage des ornières profondes. Malgré notre ardeur infatigable, le mauvais temps nous surprit avant que nous eussions terminé notre établissement d’hiver ; il tombait des averses si fortes, que François, effrayé, me demandait si le déluge du père Noé allait revenir ; déjà une mare d’eau couvrait les prairies voisines.

Il fallut songer à quitter notre demeure aérienne : la pluie se répandait jusque dans nos hamacs, le vent déchirait notre voile. Nous nous établîmes donc entre les racines, à l’abri de notre toit goudronné ; l’escalier tournant nous servit à mettre