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le robinson suisse.

soyons soumis à sa volonté ; si nous devons périr, le ciel sera à tous notre rendez-vous. »

Ma femme essuya les larmes qui tombaient de ses yeux et se calma à mon exemple. Au fond de l’âme, j’éprouvais une affreuse douleur et de terribles craintes sur le sort qui nous menaçait. Tous ensemble nous invoquâmes le secours de Dieu : les enfants, eux aussi, savent prier à leur manière.

Fritz, mon fils aîné, priait à haute voix, et, s’oubliant lui-même, il priait pour son père, sa mère et ses frères. À la vue de ma femme, de mes enfants prosternés, je me dis que le ciel, sans doute, se laisserait fléchir et nous viendrait en aide.

Tout à coup, à travers le bruit des vagues, nous entendons un des matelots crier : « Terre ! terre ! » En même temps notre navire frappe sur un rocher et s’entr’ouvre avec un horrible craquement. Le capitaine ordonne de mettre les chaloupes à la mer ; je monte sur le tillac. Déjà, de toutes parts, les passagers s’élancent, par-dessus les bastingages, dans les chaloupes de sauvetage. Un matelot coupe la corde qui attachait la dernière de ces chaloupes au navire. Je le prie de recevoir ma femme et mes enfants. Au milieu du mugissement de la tempête mes supplications furent vaines : il ne les entendit pas ou ne voulut pas les entendre, et disparut bientôt.

Pour ma consolation, je vis que l’eau, entrée déjà par plusieurs endroits, ne pourrait point s’élever jusqu’à la chambre où était ma famille, et vers le sud, malgré la brume et la pluie, je découvris une côte à l’aspect sauvage ; mais enfin c’était la terre… c’était l’espérance !

Quoique profondément affligé, j’affectai, en rejoignant mes enfants, un air calme et serein. « Prenez courage, leur dis-je ; nous pouvons encore être sauvés. Le navire, serré entre des écueils, reste immobile, il est vrai, mais au moins nous y sommes en sûreté ; l’eau ne montera pas jusqu’à nous ; si demain le vent et la mer s’apaisent, nous gagnerons le rivage, qui est peu éloigné. »