Page:Jodelle - Les Amours et Autres Poésies, éd. Van Bever, 1907.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
LES AMOURS

Mais qui a la vertu dans son cœur bien empreinte,
Et qui ne veut aimer fors que ce qu’elle doit.
Quel Dieu, quel Jupiter rallumer luy feroit
D’un autre amour le feu de sa poictrine saincte ?


Qui sert donques le guet, ou Argus aux cent yeux ?
Le fort de la vertu immuable vaut mieux.
Argus s’aveugla bien par le sainct caducée.


Doncques je ne croy pas que la plus forte tour
N’y une pluie d’or au giron amassée
Puisse contraindre, ou vaincre un vouloir en amour.


XXX


Comme un qui s’est perdu dans la forest profonde
Loing de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens :
Comme un qui en la mer grosse d’horribles vens,
Se voit presque engloutir des grans vagues de l’onde :


Comme un qui erre aux champs, lors que la nuict au monde
Ravit toute clarté, j’avois perdu long temps
Voye, route, et lumière, et presque avec le sens,
Perdu long temps l’object, où plus mon heur se fonde.


Mais quand on voit (ayans ces maux fini leur tour)
Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,
Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire.


Moy donc qui ay tout tel en vostre absence esté,
J’oublie, en revoyant vostre heureuse clarté,
Forest, tourmente, et nuict, longue, orageuse, et noire.