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à la vie en chassant les animaux sauvages. Les produits de la chasse doivent, dans une telle société, constituer la propriété dont la valeur est le plus généralement reconnue. La chair prise est sans doute trop facilement altérable pour qu’on puisse l’amasser ou l’échanger souvent ; mais il n’en est pas de même des peaux, qui, conservées et fort appréciées comme vêtements, formèrent une des premières matières de la monnaie. Aussi une foule de témoignages nous apprennent-ils que les peaux ou les fourrures furent employées comme monnaie par un grand nombre de nations anciennes. Aujourd’hui encore elles servent à cet usage dans plusieurs parties du monde.

Dans le livre de Job nous lisons : « Peau pour peau, tout ce qu’un homme possède, il le donnera pour sauver sa vie ; » ce qui indique clairement que les peaux étaient employées pour représenter la valeur par les anciens peuples de l’Orient. Des recherches étymologiques montrent qu’on en peut dire autant des nations septentrionales dès les premiers temps de leur histoire. Dans la langue des Esthoniens le mot râha a la signification de monnaie ; mais son équivalent dans le langage des Lapons, leurs congénères, n’a pas encore perdu sa signification originale de peau ou de fourrure. On dit qu’une monnaie de cuir circula en Russie jusqu’au règne de Pierre le Grand ; et il est à remarquer que les écrivains classiques rapportent des traditions tendant à établir que la monnaie la plus ancienne employée à Rome, à Lacédémone et à Carthage, était faite de cuir.

Mais il n’est pas nécessaire de remonter jusqu’à ces époques reculées pour retrouver l’usage de cette monnaie de peau. Dans le trafic de la Compagnie de la baie d’Hudson avec les Indiens de l’Amérique du Nord, les fourrures, malgré leurs différences de qualité et de dimensions, formèrent longtemps le médium d’échange. Un fait très-instructif confirme la valeur des témoignages cités plus haut : même quand l’usage des espèces métalliques se fut répandu chez les Indiens, la peau était encore employée communément comme monnaie de compte. Ainsi Whymper[1] dit : « Un

  1. Travels in Alaska, etc., par P. Whymper, p. 225.