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madame d’youville

« Île à la Crosse, 16 septembre 1864.


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« Le 13, nous étions rendus au portage appelé ‘Portage du Diable’; les hommes furent obligés de passer dans un bourbier affreux ; ils enfonçaient jusqu’au genou, avec deux grosses pièces de bois sur le dos ; l’un d’eux tomba dans ce bourbier et, succombant sous son pesant fardeau, il lui fut impossible de se relever. Les efforts qu’il fit pour sortir de cette position périlleuse lui firent crever le fiel. Il mourut quelques jours après, dans de cruelles souffrances… Le jour de la mort de ce pauvre homme, j’avais onze malades à soigner : des foulures, écorchures, écrasures, etc… J’entends tout à coup la voix de plusieurs hommes qui s’écriaient : ‘Mon Dieu ! mon Dieu ! quel malheur !’ Ils étaient à tirer une barge lorsque l’un d’eux eut le pied pris sous une énorme pierre qui lui coupa le talon. J’accourus aussitôt et, à la vue du sang qui coulait à flots, je faillis m’évanouir. Il fallut d’abord laver cette plaie toute couverte d’herbe hachée, et trouver la force de couper les lambeaux de chair qui pendaient de ce pied mutilé et d’y faire quelques points. Il fallut me tenir de l’eau froide sur la tête pendant l’opération, sans cela je n’aurais pas été jusqu’au bout… »[1]

  1. Journal de Sœur Dandurand.