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Vernon. — Oui !

Fanny. — Avec une tante vendeuse d’allumettes, un cousin policeman et un neveu cockney ?

Vernon, riant très fort. — Oui, oui, oui, petite folle.

Fanny. — Cela n’aurait rien empêché ? C’est pour moi que vous m’avez épousée ? Ce n’est pas pour ma famille ? N’est-ce pas ? N’est-ce pas, Vernon ? Dites ! Dites !

Vernon. — Ma chérie, voulez-vous m’écouter ? Regardez-moi bien, vos beaux yeux dans mes yeux. Je vous ai épousée parce que vous êtes la plus séduisante, la meilleure, la plus merveilleuse petite femme qu’il sait possible de rencontrer. Quant à votre famille… j’ai une confession à vous faire. J’ai dû m’en enquérir avant de vous parler mariage…

Fanny. — Mais qui a pu…

Vernon. — Votre imprésario, ma chérie, le brave Newte.

Fanny. — George… Oh ! par exemple !…

Vernon. — J’ai dû le faire… pas pour moi, chérie, je le jure, mais pour être en mesure de répondre comme il faut aux questions que les autres — les méchants « autres » qui ne comprennent pas les amoureux — pourraient me poser un jour.

Fanny, anxieuse. — Alors ?

Vernon. — Alors ? Mais, Fan, ça m’a paru être une famille tout à fait respectable.

Fanny. — Elle l’est. Oh ! elle l’est ! Il n’y a pas de famille plus respectable ! On peut chercher ! On n’en trouvera pas ! Dans la famille, Vernon, la respectabilité est une carrière. On en vend. C’est pour cela que je n’ai jamais pu m’entendre avec elle…

Vernon, riant. — C’est devenu inutile, petite chérie. Elle n’aura pas besoin de savoir…

Bennett rentre.

Bennett. — Robert vient de rentrer, Votre Honneur. Il est sept heures moins dix.

Vernon. — Parfait ! Un bon bain sera le bienvenu. (À Fanny.) Bennett va vous envoyer votre femme de chambre, chérie. (Tout bas.) Vous verrez : on s’habitue très vite à tout ce protocole. Quant à cette famille que le diable emporte, nous l’aurons tous vite oubliée… (Bennett ferme les rideaux du fond. Ce que voyant, Vernon embrasse en cachette Fanny avant de sortir. Fanny revient en scène où Bennett, flegmatique, continue à aller et venir. Il redescend en scène, enfin. Face à face, ils se regardent.)

Fanny, brusquement. — Et alors ?… (Un temps.) Qu’est-ce que vous allez faire ?

Bennett. — Mon devoir.

Fanny. — Bien. Je connais ça. Votre devoir, ça ne saurait qu’être très désagréable pour moi.

Bennett. — Ce que je ferai, ma chère fille, dépendra exactement de vous.

Fanny. — De moi ?

Bennett. — De vous, je dis bien. Selon que vous vous montrerez ou non raisonnable, respectueuse, docile. Je puis aisément prévoir qu’avant que vous soyez digne de votre nouvelle position, un apprentissage soutenu et patient sera nécessaire.

Fanny. — Un apprentissage ! C’est vous qui osez… Est-ce que vous savez exactement qui je suis ?

Bennett. — Qui vous êtes ? Assez bien, oui. Et aussi qui vous étiez. Je pense à l’enthousiasme que pourra montrer le dernier lord Bantock en apprenant qu’il a épousé la nièce de son maître d’hôtel. La qualité ne m’en semble pas fameuse, hé ?

Fanny. — Et qui dirigera cet apprentissage ?

Bennett. — Moi-même, avec l’aide de votre tante Suzannah, de vos cousines et cousins et, en résumé, de tous les membres de la famille sur qui je croirai pouvoir compter pour cela.

Fanny, éclatant brusquement. — Joie céleste ! Eh bien, mais voilà qui me décide. Je cours tout lui dire à l’instant.

Bennett. — Vous le trouverez vraisemblablement dans son bain.

Fanny. — C’est ça qui m’est égal ! Pensez-vous vraiment que je vais supporter une minute de plus, moi, lady Bantock ?… Je vais tout lui dire. Il m’aime. Il m’aime pour moi-même. Je vais lui dire la vérité et le prier de vous mettre tous dehors… Ah !

Bennett. — Vous oubliez que vous lui avez déjà dit une fois qui vous étiez.

Fanny. — Rien du tout. Je ne lui ai rien dit du tout.

Bennett. — Ah ! je croyais avoir entendu quelques allusions à des relations, ma foi, assez brillantes…

Fanny. — Quoi ? Des relations ? Je ne puis empêcher que certaines gens aient fait les idiots. Oh ! mon oncle ! mon oncle ! Ce serait tellement plus simple que vous vous en alliez tous ! Vernon fera ce que je voudrai. Je trouverai un prétexte qui sauvegarde votre amour-propre. Je dirai… que… que vous me déplaisez…

Bennett, ironique. — Par exemple ?

Fanny. — On vous donnera une pension ! Alors, vous et ma tante vous pourrez tenir une gentille auberge, loin d’ici, sur une route très fréquentée… avec du lierre qui grimpera partout, partout…

Bennett. — Fanny…

Fanny. — Ce serait si gentil, si poétique !

Bennett. — Prenez-vous bien en considération que, en tenant compte de tous les services, nous sommes vingt-trois à Bantock-Hall ?

Fanny, accablée. — Vingt-trois Bennett ! Naturellement, il ne pourrait pas vous donner une pension à tous.

Bennett. — Je pense que lord Bantock préférera laisser les choses en l’état actuel. Les bons domestiques sont rares, et aussi les bons maîtres. Les uns et les autres ne se remplacent pas facilement. Votre tante et moi-même enfin sommes parvenus à un âge où tout changement apparaît sans attrait.

Fanny. — Mais, voyons ! La vérité éclatera tôt ou tard.

Bennett. — Nous tâcherons que ce soit tard, Fanny. (Il va sonner.) Entre temps, vous aurez eu des occasions de prouver à Son Honneur que vous n’êtes pas incapable de profiter d’un enseignement.

Fanny, pleurant presque. — Enfin ! Je sais des gens qui se réjouiraient que leur nièce ait fait un beau mariage !

Bennett. — C’est affaire à eux. J’ai, pour moi, des principes qui m’enjoignent de me préoccuper avant toute autre chose de mes devoirs envers ceux que je sers. Puisque mon maître m’a fait l’honneur d’épouser ma nièce, le moins que je puisse faire est de veiller à ce qu’elle se rende digne de cet honneur qu’il me fait, et que je ressens vivement, croyez-le bien. (Entrent Mrs Bennett et Honoria, petite personne de l’âge de Fanny, très jolie. Bennett leur fait signe d’approcher.) Vous allez apprendre avec intérêt, Suzannah, que la nouvelle lady Bantock n’est pas une inconnue pour nous.

Mrs Bennett s’avance. — Fanny ! Méchante fille ! Qu’êtes-vous devenue depuis tout ce temps ?

Bennett, s’interposant. — Vous aurez d’autres occa-