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L’Aînée. — Nous devons être très bons…

La Cadette. — Et patients, Bennett ! Et patients !

Bennett. — C’est très exactement ce que je me dispose à être. Il va sans dire que si ces demoiselles objectent quelque chose aux textes saints, je puis les enlever.

La Cadette. — Non ! Oh ! non, Bennett. Il faut les laisser. C’est une charmante pensée.

Bennett, sûr de lui. — Il m’a paru qu’en l’occurrence, rien ne devait être laissé au hasard…

Il sort en fermant soigneusement la porte.

La Cadette, ingénument, angéliquement. — J’espère qu’elle aimera les Bennett.

L’Aînée, rassurante. — Je pense qu’elle y arrivera — après un peu de temps — quand elle y sera accoutumée…

La Cadette. — Je voudrais tant que tout se passât bien !

L’Aînée. — Confiance, chérie ! Ce doit être une bonne femme. Vernon l’aurait-il aimée s’il en avait été autrement ? (Fanny et Vernon entrent et se cachent derrière le paravent. Le jour a baissé. C’est le feu de la haute cheminée qui éclaire la pièce. Un temps.) Vous souvient-il, chère, combien notre Vernon, tout petit, aimait à jouer avec vos cheveux ? (La Cadette rit.) Que je vous confesse un péché : j’ai toujours envié vos cheveux.

La Cadette. — Il nous chérissait tendrement toutes deux. Rappelez-vous le jour — il relevait de sa rougeole — où il a tant pleuré pour que nous lui donnions son bain nous-mêmes, à la place des Bennett ? Chérie, j’ai encore le remords de lui avoir refusé.

L’Aînée. — C’était déjà un bien grand garçon, Édith.

La Cadette. — Oui… mais son état de convalescent aurait dû nous faire fléchir ce jour-là, chérie. (La chambre est devenue très obscure. Les Misses, soudain, ont la perception que quelqu’un est entré.) Qui est là ?

Vernon, riant et ému. — All right ! tantes. Ce n’est que moi. (Trois pas : il est dans leurs bras.)

L’Aînée. — Vernon !

La Cadette. — Mon petit !

L’Aînée. — Nous ne vous attendions pas si tôt !

La Cadette. — Et votre femme, Vernon ?

Vernon. — Elle est ici, chères tantes.

Les Misses, ensemble, saisies. — Ici ?

Dans le silence qui s’est fait, on entend derrière le paravent monter le rire très frais de Fanny.

Vernon. — Donnons un peu de lumière. (Bas, aux Misses.) Pas un mot, elle ne sait encore rien.

Il va tourner le commutateur du lustre. Fanny est sortie de derrière le paravent. Elle est délicieuse. Vernon la regarde avec admiration. Un silence.

Fanny, aux Misses. — Je serais si contente si vous vouliez bien m’aimer !

Tous sourient.

L’Aînée. — Il me paraît que ça ne sera pas difficile, chère petite.

La Cadette. — C’est si simple d’aimer la jeunesse et la beauté !

Fanny, riant. — Vernon ! Ça n’a pas l’air d’aller trop mal, n’est-ce pas ? (Vernon rit. Les Misses rient. Tous embrassent Fanny.) Oh ! je suis contente que vous me trouviez jolie. Ce n’est pas vrai, vous savez. Je n’ai qu’un petit charme qui fait illusion.

La Cadette. — Nous avions un peu peur… Quelquefois, les très jeunes gens s’éprennent de femmes beaucoup plus âgées qu’eux…

L’Aînée. — Surtout quand ce sont des femmes…

Elle s’arrête, confuse.

La Cadette. — Alors, n’est-ce pas, nous sommes si soulagées de voir que vous êtes…

L’Aînée. — Oui… que vous êtes… comme vous êtes et…

Fanny. — Vous aviez raison, chéri. Elles sont adorables ! Dites-moi ?

Vernon. — Quoi donc, petit oiseau ?

Fanny, montrant les Misses. — Comment fait-on pour les distinguer l’une de l’autre ?

Vernon. — Chérie, je n’ai jamais été capable de le faire très exactement moi-même.

La Cadette. — Oh ! moi qui croyais que j’étais votre préférée !

Vernon. — Mais vous l’êtes, tante Alice !

La Cadette, riant. — Ah ! non ! Alice, c’est elle. Moi, c’est Édith…

Vernon fait un geste de désespoir. Tout le monde rit.

Fanny. — Je vous habillerai de couleurs différentes. Vous en blanc… Vous en rose… Ce sera si gai !

Vernon. — Et pratique ! Et pratique !

Fanny. — C’est le salon, ici ?

Vernon. — C’est votre appartement, Fanny.

Fanny. — J’ai toujours aimé les pièces où l’on peut se dégourdir les jambes. (Elle esquisse deux pas de blues qui la mènent devant un bureau monumental.) Mais je n’aurai pas besoin d’un bureau si grand !

L’Aînée. — C’est un bureau où le célèbre Pitt a travaillé à la grandeur de l’Angleterre.

Fanny. — Pitt… Seigneur ! Il m’intimide. Vernon, nous lui trouverons une petite place… une grande petite place quelque part dans la maison. Voici un beau tableau.

La Cadette. — Il est signé Hopner.

Fanny, à Vernon. — Un copain à vous ?

Vernon. — Ma chérie ! C’est le portrait de la mère de ma grand’mère…

Fanny. — Attendez ! La mère de votre… Bon, j’y suis…

Vernon. — D’après nature !

Fanny, après avoir siffloté. — Je suis affreusement ignorante, hein ? Mais il ne faut pas désespérer de moi. J’apprends très vite. (Elle regarde le portrait.) Elle n’était pas mal, vous savez…

L’Aînée. — Nous en sommes fières. Ce fut la première…

Vernon, la coupant. — Tante chérie, une autre fois, l’histoire de Constance, une autre fois, nous avons le temps.

La Cadette. — Mais oui. La chère petite est lasse. Un peu de thé vous ferait du bien, ma chérie ?

Fanny. — Non ! Merci. Nous l’avons pris dans le train.

Aidée par Vernon, elle enlève son manteau.

La Cadette. — Nous ne vous attendions pas avant ce soir… Votre dépêche…

Vernon. — Il pleuvait à Londres. Nous avons préféré venir ici directement, remettant à un autre jour les visites aux magasins.

Fanny. — Une pluie qui vous aura sauvé de la ruine, Vernon.

L’Aînée. — Alors, vous êtes venue de la gare à pied ?

Fanny. — Mais oui, à pied.

La Cadette. — Quel long chemin !

Fanny. — Vernon tenait mon bras sous le sien.