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le charmant humoriste anglais est apprécié du monde entier comme romancier. On ne le connaissait pas encore en France comme auteur dramatique et Andrée Méry, aidée cette fois de Pierre Seize, a complété sur ce point son apostolat littéraire. Je ne vous affirmerai point que cette pièce bouleverse l’art dramatique, c’est plutôt un fragment de pièce, un épisode un peu trop développé ; mais, avec J. K. Jerome, on ne s’ennuie jamais, car c’est par le détail que l’auteur triomphe, par mille points, vus au microscope, de la vie quotidienne et qui nous enchantent.

» Les gens qui parlent à tort et à travers d’ « humour anglais », lorsqu’il s’agit tout simplement d’esprit satirique et philosophique français, ignorent trop souvent que le véritable humour anglais, loin d’être agressif, est, au contraire, familial, sentimental et résigné devant les ennuis de l’existence, et lorsqu’il s’amuse à la longue des mille piqûres d’épingles de la vie banale, c’est d’un rire presque douloureux, mais sans révolte. L’humour français ? Mais c’est Rabelais, Cyrano, Beaumarchais ou Voltaire. Sous son apparente indifférence, gronde toujours un ferment de révolution.

» Chez J. K. Jerome, pas plus que chez Dickens, on ne sent cette révolte. C’est que la nature dans le Nord est encore plus méchante que les hommes ; on se groupe autour du foyer, on transforme en petits dieux, qui ont chacun leur nom, les objets familiers et les aliments quotidiens ; et la seule vengeance que l’on tire d’un ennui, c’est de le constater flegmatiquement. C’est assez vous dire qu’il n’y a point de traîtres ni de méchantes gens dans Fanny et ses gens. »


M. Pierre Veber, du Petit Journal, est heureux de reconnaître que Fanny et ses gens, « c’est autre chose que le déjà entendu », et il ajoute :


« Jerome K. Jerome est le plus savoureux des humoristes ; ses livres ont fait mes délices. Il a une plaisanterie directe, pincée, une observation minutieuse et implacable, qui valent celles de Dickens. On m’a dit qu’il ne fut pas très heureux au théâtre. Il a écrit deux volumes délicieux sur les mœurs théâtrales : Sur la scène et hors la scène, qui a été traduit par Mlle Méry, et une plaquette introuvable en Angleterre : l’Art d’écrire des pièces, qui est la chose la plus comique que je sache. M. Jerome aura du moins triomphé en France, car Fanny et ses gens a eu le meilleur accueil. Je crois que Mlle Méry et M. Pierre Seize ont très subtilement adapté cette pièce et qu’ils y ont ajouté des agréments de leur cru. »


M. Louis Schneider tient à répondre, dans le Gaulois, à ceux qui reprocheraient à notre théâtre de trop fréquents emprunts à la littérature étrangère :


« Fanny et ses gens vient d’obtenir un fort enviable succès. J’entendais un grincheux dire à la sortie : « Oui, mais c’est une œuvre anglaise… » Et qu’importe ? puisque la majorité de nos auteurs fabriquent toujours la même pièce pour les petits théâtres de genre et que le public en est las. Fanny et ses gens possède au moins le mérite d’être un conte original, savoureux, bon enfant ; il y a une réelle fraîcheur dans ces trois actes, il y a de l’ironie, du rire, des choses invraisemblables et des détails pris sur le vif ; et puis on pourra mener les jeunes filles au théâtre Daunou. Que demander de plus ? »


M. Franc-Nohain écrit, dans l’Echo de Paris :

« On ne saurait trop remercier Mlle Andrée Méry et M. Pierre Seize de nous avoir fait connaître, en l’adaptant avec tant de grâce et d’intelligence, cette malicieuse et délicieuse comédie. »


Dans l’Œuvre, M. Edmond Sée avoue le plaisir qu’il a pris :


« J’aime beaucoup cette pièce, fine, malicieuse, un brin candide aussi, que Mlle Andrée Méry et Pierre Seize nous rapportent d’Angleterre. Elle dégage, si j’ose dire, une jolie odeur de terroir et plaira, je n’en doute pas, au public, même au public français. »


C’est aussi ce goût de terroir qu’apprécie, dans le Matin, M. Jean Prudhomme :


« Traité à la française, le sujet de Fanny et ses gens eût fourni une grosse fantaisie à éclats de rire, voire un vaudeville. Du même sujet, un auteur anglais a tiré une comédie nuancée, souriante, à peine ironique. Mais comme on distingue admirablement, au travers des péripéties de l’histoire, les différences essentielles du caractère des deux peuples voisins ! Il serait également impossible de transporter en France l’action de cette pièce et de la faire jouer en Angleterre par des personnages français. Enfin, toute trahison de l’humour britannique réel eût été dangereuse ici. Les deux adaptateurs ont rempli délicieusement leur tâche ; on doit souhaiter que le public les en récompense. »


Dans la Liberté, M. Robert Kemp enregistre la « très agréable soirée » du théâtre Daunou. « Pièce vive et gaie, toute simple et pleine de bonne humeur et quelquefois de bon humour », acquiesce, dans le Temps, M. Pierre Brisson. « Brillante, ingénieuse, mouvementée, attachante et spirituelle, cette œuvre originale a mérité son succès », assure, dans Paris-Soir, M. Paul Reboux.


M. Maxime Gérard écrit, dans le Figaro :


« Voilà une pièce fort agréable : une intrigue sans complications inutiles ; des personnages habilement esquissés et qu’on rencontre avec plaisir au cours de ces trois actes. »


M. Nozière, dans l’Avenir, félicite les adaptateurs d’avoir « conservé le ton de l’humour et de s’être gardés d’une sensibilité facile. L’ouvrage est amusant et tendre. »


Dans l’Information, M. Antoine rend justice au « merveilleux tour de main de l’auteur » qui nous à « tenus sous le charme » et à la vérité psychologique des personnages, « établis avec un rare bonheur ».


Enfin, dans Paris-Midi, M. Fortunat Strowski conclut son article en ces termes :


« Quant à moi, je reviendrai au théâtre Daunou, car je m’y suis bien amusé, et aussi pour vous y voir, lecteurs et lectrices. Car aucun de vous n’y manquera, s’il est ami de son plaisir. »

Le cadre où se passent les trois actes de Fanny et ses gens nous a été restitué au théâtre Daunou avec un rare bonheur. L’atmosphère désuète et sévère du manoir anglais est aussitôt créée par le décor et l’ameublement de haut style de MM. André Boll et Victor Linton, comme par la mise en scène experte de M. Edmond Roze.

L’interprétation a été impeccable. Mme Jane Renouardt est la plus exquise des Fanny : elle a la grâce, le charme, le naturel, la vivacité, l’émotion sensible, l’autorité et, dans sa robe de grand’mère du deuxième acte, elle est une ravissanté apparition. Ce sont aussi deux savoureuses figures de vieille gravure anglaise qu’ont dessinées, avec autant d’art caricatural que de délicatesse, Mme Jeanne Fusier-Gir et sa sœur Mlle Berthe Fusier, et les autres silhouettes plaisantes n’ont pas été esquissées moins spirituellement par Mlle Degaral et Mlle Valois, ou par le bataillon de girls que conduit Mlle Tamary.

Mais il faut louer particulièrement la composition que M. Constant Rémy a faite de Martin Bennett : sa dignité, son impassibilité sont du meilleur comique. M. Fernnd Gravey est un Vernon juvénile et sympathique. M. Paul Amiot un impressario plein de vie et d’aisance, M. Lucien Dayle un affable docteur et M. Jean Hubert a des mines ahuries fort drôles.


Robert de Beauplan