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grand comme ça… par les photos des magazines… par les conversations au club… par les disques du phonographe… On parlera d’elle, allez… je m’en occuperai !…

Vernon. — Oui… maintenant c’est vous qui…

Il a la voix tremblante d’un enfant malheureux.

Newte, persuasif. — Et, qui sait ? Quand tout ça sera apaisé, lointain, un soir, un beau soir de première, vous vous mêlerez à la foule des complimenteurs. Vous irez la saluer dans sa loge, comme l’hiver dernier, aux Folies… Allez, je la connais : elle vous recevra bien. Il y aura sûrement une petite place pour vous, à part… Vous parlerez du passé… du vieux cher court passé ! Tout ça entre deux changements de costume, pendant que l’habilleuse dira des gros mots et que le régisseur aboiera à la porte. Ça sera poétique !… ça sera photogénique !…

Vernon, n’y tenant plus. — Monsieur Newte, assez… assez… C’est plus que je ne puis supporter… Je vous demande de me laisser… de me laisser seul…

Newte. — J’ai toujours su sortir à temps. Au revoir, lord Bantock.

Vernon. — Au revoir.

Newte. — Et ne vous trompez pas sur moi : j’ai agi en ami toujours… en ami plus ou moins adroit… un peu énervant, enfin… on fait ce qu’on peut… il y a une chanson qui dit : « J’ai envie de l’embrasser et de le f… par la fenêtre. » C’est assez ça, hein ?

Vernon. — Au revoir, monsieur Newte !

Newte. — Au revoir… Dites à Fanny que je suis à sa disposition pour toutes décisions qu’elle aura à prendre… Elle sait où on me trouve… Waterloo Bridge, toujours. Je vais envisager sa position, dresser mes batteries, câbler pour les dates. Mais je ne veux rien faire sans la consulter.

Vernon, excédé. — Oh ! Oh !

Newte. — Oui, je vois, je sais ce que c’est. Au revoir, lord Bantock… Quand je pense que je vous appelais Vernon il n’y a pas si longtemps à Paris. On a bien rigolé tout de même, hein ? Le numéro était bon. Elles étaient de chics copains, les petites… et… et je n’ai pas demandé de dédit quand vous m’avez enlevé l’Irlande, comme ça : hop ! Si vous croyez que ça se trouve sous les fers d’un cheval, une Irlande. Quel doigté ça demande !… Tu te rends compte !… Au revoir, Vernon. Adieu. Cheer up ! boy ! au revoir… J’ai toujours su sortir à temps…

Il sort. Vernon, resté seul, marche de long en large. Il aperçoit le portrait de lady Constance et s’y arrête, les mains dans les poches. Vernon dit : « Constance ! » Il le considère longuement. Il entend du bruit dans la chambre de Fanny et s’éloigne vivement de la porte qui s’ouvre. Fanny entre, habillée comme pour partir. Elle s’arrête. Vernon se retourne, la regarde. Fanny, d’un air décidé, ferme la porte et descend en scène.

Vernon. — Bonjour, Fanny.

Fanny, descend en scène. — Bonjour… George… M. Newte a passé la nuit ici, n’est-ce pas ?

Vernon. — Oui, il est en bas.

Fanny. — Songe-t-il à partir tout de suite ?

Vernon. — Il ne le pourra guère avant trois heures d’ici, le prochain train est à dix heures… Avez-vous déjeuné ?

Fanny. — Je crois…

Vernon. — Comment, vous croyez ?

Fanny. — Oui… il me semble… Ça n’a aucune importance…

Vernon. — Fanny… pourquoi me demandez-vous l’heure du départ de Newte ?

Fanny. — Pour rien…

Entre Ernest, ahuri de les trouver ensemble.

Vernon, peu aimable. — Qu’est-ce que vous voulez ?

Ernest. — Votre Honneur… je… c’est parce que…

Fanny, gentiment. — Qu’est-ce qu’il y a, Ernest ?

Ernest. — C’est Bennett, Milady, qui m’a dit de venir voir « adroitement » ce que tu… ce que Milady faisait…

Fanny. — C’est pas mal comme résultat, jusqu’ici… Et pourquoi cette sollicitude ?

Ernest. — Ben… n’est-ce pas… on ne savait pas si tu… si Milady était sortie de sa chambre… Milady n’avait pas sonné… alors j’ai dit que peut-être tu… que peut-être Votre Honneur était partie par la fenêtre… Votre Honneur passait souvent par les fenêtres… autrefois…

Fanny rit.

Vernon, amusé tout de même. — Ernest, depuis cette époque, votre maîtresse a eu des occasions de découvrir que les portes sont d’un usage plus courant et plus pratique…

Fanny. — Alors ?

Ernest, bas à Fanny, se cachant de Vernon. — Alors Bennett m’a flanqué une gifle. (Avec une intonation de découverte souriante.) C’est la première d’aujourd’hui !

Fanny. — Mon pauvre vieux !… Dis donc, où est M. Newte ?

Ernest. — En bas, Fanny. (Se reprenant vivement.) Milady, il mange… qu’est-ce qu’il mange !…

Fanny. — Bon… dis-lui de ne pas partir sans m’avoir vue…

Vernon, impatienté. — Laissez-nous…

Ernest. — Oui… Vos Honneurs…

Ernest sort.

Vernon. — Qu’est-ce que vous lui voulez, à M. Newte, Fanny ?

Fanny. — Des choses à lui dire… Vernon… je regrette ce que j’ai fait hier soir…

Vernon. — Mais, Fanny…

Fanny. — Si… je regrette… quoique, vous savez, ils ne l’avaient pas volé… ça, c’est bien sûr ! Enfin, je me console en pensant que le tort peut être facilement réparé… n’est-ce pas ?

Vernon. — Vous ne vous opposez pas à ce qu’ils restent dans la maison ?

Fanny. — Comment le pourrais-je ? Vernon, nous avons commis une grande erreur… regardons-la en face… ce sera tellement mieux…

Vernon. — Quelle erreur, Fanny ?

Fanny. — Notre mariage.

Vernon. — Fanny…

Fanny. — Et le meilleur moyen de réparer une erreur, c’est de remonter à sa source, n’est-ce pas ?

Vernon. — Nous ne lui avons pas donné une bien longue chance à notre mariage…

Fanny. — C’est vrai… il a tout de suite éclaté en morceaux. J’ai eu beaucoup de peine, cette nuit, Vernon, vous auriez dû le sentir !

Vernon. — Je le sentais, Fanny, moi aussi j’étais malheureux…

Fanny. — Vous m’avez laissée toute seule…

Vernon. — Honoria m’avait dit que votre porte était fermée à clef…

Fanny. — Honoria vous avait dit ?… Vous n’avez pas essayé vous-même de l’ouvrir, cette porte…