L’Aînée, à sa sœur. — Enfin, regardez, Édith… N’est-ce pas frappant ?
La Cadette. — Mais c’est vrai ! Mais c’est vrai !
L’Aînée. — Je m’en étais aperçue dès la première minute ! (À Fanny.) Votre ressemblance, chérie, avec lady Constance, elle est… prodigieuse !
Fanny. — Vous trouvez ?
La Cadette. — Étonnante ! L’expression, tenez ! Quand vous avez votre air sérieux.
Fanny. — Alors, je vais tâcher de l’avoir plus souvent, tantes ! Votre promenade n’a pas été bien longue !
L’Aînée. — Nous étions parties si tard ! Nous avons tout de même assisté à deux belles courses !
- Elles s’assoient à la table. Un temps. Honoria apporte le plateau du thé et le dépose sur la table.
La Cadette. — Je ne crois pas qu’il vienne quelqu’un, cet après-midi.
L’Aînée. — C’est peu probable. La Société est encore à Londres à cette époque !
Fanny. — Ce n’est pas moi qui m’en plaindrai !
- Elle verse le thé.
L’Aînée. — Mais nos amis vous plairont sûrement, Fanny !
La Cadette, à Fanny qui apporte le thé, prenant sa tasse. — Et ils vous apprécieront tous, j’en suis bien sûre.
Fanny. — Je l’espère aussi.
- Fanny passe les gâteaux.
L’Aînée en prend un. — Bennett (Elle a fait sentir sur ce nom l’autorité qui s’y attache.) me disait encore hier que de grands espoirs peuvent être, à son avis, fondés sur vous !
La Cadette, se servant. — Merci, chérie ! (Très digne.) Et… vous savez que Bennett en ces matières…
L’Aînée. — Je l’ai aussitôt répété à Vernon. Si vous aviez vu sa joie !
Fanny fronce les sourcils. — Vernon ? Lui aussi ?
L’Aînée. — Ah ! c’est qu’il attache une grande importance à l’opinion de Bennett !…
Fanny. — Je suis contente de savoir que je donne satisfaction.
- La porte s’ouvre. Le Docteur Freemantle entre.
Le Docteur, il leur serre la main. — Comment allons-nous, depuis tout à l’heure ? Bien ? Je m’en doutais. Savez-vous ce que je vais faire ?
Les Misses. — Non, cher docteur…
Le Docteur. — Je vais intenter un procès à lady Bantock. Pour exercice illégal de mon art. Depuis son arrivée… (Il lui prend la main.) personne ici n’a plus besoin de moi. (Tous rient.) Ah ! cette chère petite dame a été une bien grande surprise pour nous. (On rit.)
La Cadette. — C’est une chère petite fille.
L’Aînée. — Bennett disait hier…
- Fanny près de la table où elle sert le thé au Docteur.
Fanny. — Tante chérie, serait-il tout à fait impossible de laisser Bennett où il est ? Quelques instants seulement !
Le Docteur. — D’autant plus qu’il n’a pas l’air d’y être mal ! On passe en bas un agréable quart d’heure !
La Cadette. — Comment cela ?
Le Docteur. — Vous ne le saviez pas ? Il semble y avoir une charmante, bien qu’un peu tapageuse réunion, à l’office. J’ai assisté au moment où j’arrivais à un défilé gracieux et bien réglé de jeunes beautés descendues d’un char à bancs !
La Cadette. — D’un char à bancs ?
Le Docteur. — Exactement du char à bancs de l’hôtel de la gare de Melton. Pour la circonstance, on l’a orné d’un magnifique écriteau en trois couleurs…
Fanny. — Des jeunes filles dans un char à bancs ?
Le Docteur. — Sur l’écriteau duquel on lit ces mots : « Notre Empire ! »
Fanny dépose les gâteaux qu’elle tenait, traverse la pièce et va sonner, puis elle appelle. — Ernest !
La Cadette. — Mais… Mais qu’est-ce que c’est ? Qu’y a-t-il, Fanny ?
Fanny. — Tout à l’heure, tante, je vous demande une minute. Ernest ? (Ses manières ont changé. Une lumière est dans ses yeux qu’on ne connaissait pas. Entre Ernest. Fanny, à Ernest, sur le ton de la maîtresse de maison.) Ernest, n’est-il pas venu des visites pour moi, aujourd’hui ?
Ernest, hébété comme d’ordinaire. — Des… des visites…
Fanny. — Oui ! des dames ?
Ernest, au comble de la terreur. — Des… da… dames ?
Fanny. — Je vous parle une langue connue. Efforcez-vous de comprendre. Une compagnie de jeunes dames n’a-t-elle pas demandé à me voir aujourd’hui ?
Ernest. — Il… elles… les jeunes dames sont venues… Et nous avons… Elles…
Fanny. — Où sont-elles ?
Ernest. — Elles sont… Nous avons…
Fanny. — Veuillez m’envoyer Bennett ! À l’instant même !
- Ernest, content de s’échapper, trébuche dehors.
La Cadette. — Ma chérie…
Fanny. — Cher docteur, il nous reste deux excellentes tasses de thé. Présentez l’une à celle des misses Wethrell qui a de si beaux yeux. L’autre à celle qui a de si magnifiques cheveux. Elles n’oseront vous les refuser. Voilà ! Qu’est-ce que je disais ? Ah ! Bennett !
- Bennett est entré.
Bennett. — Milady m’a fait appeler ?
Fanny. — Oui. J’apprends que des jeunes filles ont tout à l’heure demandé à me voir…
Bennett, avec intention. — Des jeunes filles ?
Fanny. — Oui.
Bennett. — On a mal informé Milady. Je n’ai pas aperçu aujourd’hui la moindre jeune fille.
Fanny. — Je me vois forcée d’en conclure, Bennett, que quelqu’un, du docteur Freemantle ou de vous, m’a dit un mensonge ?
- Un silence.
Bennett. — Des personnes, de mise et d’allure tapageuses, ont prétendu être connues de Milady. Elles sont arrivées à Melton dans une grande voiture. Je leur ai fait servir le thé à l’office et me propose de veiller à ce qu’elles soient reconduites à la gare grandement à temps pour reprendre le train de Londres.
Fanny. — Faites monter ces jeunes filles. Leur thé leur sera servi ici.
- Tous deux se sont exprimés avec un calme terrible.
Bennett, un peu impressionné tout de même par le calme de Fanny. — Les ladies de Bantock-Hall n’ont pas pour habitude de recevoir dans leur boudoir des filles de cirque…
Fanny, froidement. — Pas plus que celle de discuter avec leurs domestiques. Faites monter ces demoiselles.
Bennett. — Je préviens Milady…