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que des parents t’avaient recueillie. Oh ! je n’ai pas eu beaucoup de détails à donner !

Fanny. — C’est toujours ça !

Newte. — Je lui ai dit que toi et ces parents, ça n’avait pas gazé très fort et alors que tu t’étais adressée à d’anciens camarades de ton père, et… comme ils étaient au théâtre, remarquant ta beauté, ton talent naturel et…

Fanny. — Oh ! ça va ! Passe ! passe !

Newte. — Ils avaient décidé que ce que tu pourrais faire de mieux, pour gagner honorablement ta vie, c’était de devenir chorus-girl… Voilà.

Il est très content de lui.

Fanny. — Ra-vis-sant ! Et puis ?

Newte, empoisonné. — C’est tout… Tout ce que je savais…

Fanny. — Évidemment. Mais cette considération n’a pas dû te retenir trop longtemps ?

Newte. — Ah ! il fallait bien que je lui dise autre chose ! Voyons ! un homme — et un lord ! — ne se marie pas sans connaître les origines de celle qu’il épouse. Il n’y a que les idiots et les auteurs dramatiques pour dire le contraire ! Or, tu ne m’avais jamais rien dit. Qu’est-ce que je pouvais faire ?

Il joue avec une plume d’oie sur le bureau.

Fanny, la lui retire. — Oui ! Qu’as-tu bien pu faire ?

Newte, avec une gentille franchise. — J’ai fait pour le mieux, mon petit coco. Et le résultat, tu le connais ? Mirobolant !

Fanny. — Tu trouves ?

Newte. — Il m’a dit que ce que je lui apprenais était bien au-dessus de ce qu’il attendait, que je le rendais bien heureux. Il exultait. Il m’attendrissait. C’est un gentil type, tu sais. (Rougissant.) Alors, quand j’ai vu ça, je lui ai dit… que tu avais un oncle… évêque.

Fanny, sidérée. — Un oncle… quoi ?

Newte. — Évêque… évêque de Waiapu, en… en Nouvelle-Zélande !

Fanny. — Pourquoi ? Pourquoi en Nouvelle-Zélande !

Newte. — Pourquoi pas !… Il fallait bien qu’il le soit quelque part. Tu n’exigeais pas qu’il soit archevêque de Canterbury, dis-moi ?

Fanny. — Et… il l’a cru ?

Newte. — Le lui aurais-je dit si j’avais eu le moindre doute là-dessus ?

Fanny, un peu amère. — Et puis ? Tu m’as bien dégoté une autre parenté éblouissante, hein ?

Newte. — Oui. Un juge. À la cour suprême, en Ohio. Même nom que l’évêque, pour simplifier : O’Gorman. Beau nom, pas, Fan ! J’en ai fait un cousin à toi. C’est un type que j’avais connu moi-même, autrefois, en voyage. Un type charmant. Pas juge. Bien sûr. Plutôt quelque chose comme client de juge… Mais charmant !

Un silence.

Fanny, accablée. — Et voilà !

Newte, avec un petit pas de gigue. — Et voilà !

Fanny. — Maintenant, il n’y a plus qu’à dire que tout ça n’est qu’un paquet de mensonges. C’est facile… Oh ! je ne t’en veux pas… mon vieux George ! C’est ma faute. Ah ! c’est un sale coup, tout de même ! Groggy, Fan !… vieux George ! Elle « flotte » !

Newte, ému. — Mais Fanny ! Mais pourquoi tout lui dire ? Tu vas l’affoler. C’est tout !

Fanny. — Mais si ce n’est pas moi, ce sera eux qui l’avertiront ! Tu me connais, tu sais bien que je ne supporterai pas longtemps les brimades de mes propres domestiques. Puis à la fin, par-dessus tout, il faudra bien que ça éclate.

Newte se lève, prend Fanny par les mains, la fait asseoir près de lui, se relève et, mains en poches, marche de long en large au travers de la pièce. — Ma petite fille, faut m’écouter sérieusement. C’est moi qui me suis occupé de tes affaires, toujours, n’est-ce pas ?… J’ose dire que ça ne t’a pas trop mal réussi, hein ? Je ne t’ai jamais laissé faire de gaffe. Je ne vais pas commencer.

Fanny. — Mais, George, ne crois pas qu’il soit malin de le tromper plus longtemps avec un tas de bobards qu’il découvrira un jour en bloc… et alors…

Newte. — Tient-il tant que ça à les découvrir ? Un bon petit câble à l’évêque de Waiapu et au juge O’Gorman, de Colombus, et il aurait appris dans le minimum de temps que ces éminentes personnalités n’avaient jamais seulement entendu parler de toi… L’a-t-il fait ? Non. Il t’a épousée parce qu’il était fou de toi, voilà ! tout bêtement.

Fanny. — C’est pour ça, George, qu’il fallait lui dire…

Newte. — La vérité ? T’es bête, mon petit canard… T’es gentil, mais t’es bête ! Tu le vois repassant sa précieuse vérité à ses amis et connaissances : « Oui, cher ami, j’épouse une charmante fille, la nièce de mon maître d’hôtel ! » Impossible ! (Catégorique.) C’était une situation où il fallait un menteur. Alors… suis-je imprésario, oui ou non ?

Fanny. — Alors, il va falloir que je passe toute ma vie dans ces costumes de musée ?

Newte. — Fan ? (Elle le regarde. Il cligne de l’œil.) Tu ne peux pas « t’arranger » avec eux ?

Geste de glisser de l’argent.

Fanny. — Mais non ! tu n’y es pas ! Mais c’est bien ce qu’il y a de terrible ! Ils sont sincères !

Newte. — Oh ! Nom de… Bonté divine !

Fanny. — Ils sont sincères, te dis-je ! Ce sont les « fidèles gardiens de la tradition », échappés du mélodrame. Ils passeront dix-huit heures par jour à m’empoisonner, uniquement pour remplir leur devoir envers la famille qu’ils servent ! Aucun intérêt qui les guide ! Ils sont « comme ça » !

Newte. — Et le petit ? S’il leur parlait un peu rudement ?

Fanny. — Vernon ? C’est eux qui lui ont donné sa première fessée. Comment veux-tu qu’il oublie ça ? Non ! Non ! On n’en sortira pas ! On n’en sortira pas ! Il faut tout casser !

Newte. — Mais ça va se tasser tout ça… Ces gens-là, que le diable emporte, tes Bennett enfin, ils ont bien un peu de bon sens ? Un grain, une miette, enfin ?

Fanny. — Je ne m’en suis jamais aperçue, quant à moi.

Newte, riant. — Tu es peut-être mauvais juge, Fan ? On doit pouvoir leur faire entendre raison. Et puis… écoute. Plus tard, beaucoup plus tard, tu pourrais raconter à Vernon, avec quelques précautions, qu’un savant héraldiste — qu’est-ce qui te fait rire ? — a découvert que les Bennett et toi vous étiez vaguement parents. Voilà qui est simple, clair, magistralement raisonné, hein, enfin ? Voyons !

Fanny. — Tu es épatant, George. Tu as une