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Vernon. — Vraiment, docteur ?

Le Docteur, riant. — Aussi vrai que je ne mens jamais.

Entrent les Misses Wethrell, habillées pour sortir.

Vernon, aux Misses. — Fanny ne vient pas avec nous.

La Cadette. — Oh ! Pourquoi ?

Fanny. — Une méchante migraine. (Prenant la Cadette à part.) À vrai dire, je serai contente de me retrouver seule avec moi-même quelques heures.

La Cadette. — C’est juste, ma chérie. Tout cela fut si brusque, si inattendu, si… (Elle l’embrasse et, à sa sœur :) Elle a besoin d’un peu de calme. Nous sortirons tous trois.

Fanny, à l’Aînée, l’embrassant. — N’allez pas jouer trop gros jeu, au moins ?

L’Aînée. — Oh ! Fanny ! Nous ne jouons jamais. C’est seulement pour admirer les jolis chevaux.

Vernon. — Filons vite, nous sommes bien en retard, nous ne verrons guère que les deux dernières courses. Nous vous déposons, docteur ?

Le Docteur. — Si vous voulez bien… devant l’église. Je vais chez le pasteur. (À Fanny.) Mes respects, lady Bantock.

Vernon. — Mais vous reviendrez prendre le thé avec nous ?

Le Docteur. — Avec plaisir.

Fanny. — C’est gentil. À tout à l’heure, docteur.

Vernon. — Vous ne vous ennuierez pas, petite chérie ?

Fanny. — Si ! Affreusement ! Vaniteuse créature ! C’est que ça croit sérieusement qu’on ne peut pas vivre une heure sans lui !

Vernon l’embrasse. — Vous allez mieux, Fanny. Vous allez mieux ! Je mettrai quelque chose pour vous sur le gagnant.

Fanny. — Merci ! Sur le gagnant seulement, n’est-ce pas ? (Tous rient. Le Docteur et la Cadette sont sortis.) Chéri, c’est Ernest qui s’occupe des feux, n’est-ce pas ?

Vernon. — Oui.

Fanny. — Alors, envoyez-moi ce personnage ! Au revoir, Vernon !…

Vernon. — Au revoir, petite Fanny !

Baiser.

L’Aînée sort la dernière. Sur le pas de la porte, elle braque son face-à-main et, simplement : — Au revoir, chérie. Je vous aime dans cette robe.

Fanny, riant. — Oui ? Tant mieux, tante… (Seule, elle va au bureau d’un pas fébrile, feuillette l’indicateur des chemins de fer.) Cinquante-trois… Cinquante-trois… (Tourne la page.) Saint-Pancrace, dix heures quarante-cinq !… Stamford, midi vingt. On appelle ça des rapides ! (Entre Ernest.) C’est toi, Ernest ?

Ernest. — Oui.

Fanny. — Ferme la porte. Tu es sûr que la dépêche est partie hier soir ?

Ernest. — Sûr.

Fanny. — S’il ne prend pas le dix heures quarante-cinq, il ne sera jamais ici avant six heures. Que c’est embêtant !… Quelle heure, Ernest ?

Ernest regarde la pendule. — Une heure moins cinq !

Fanny. — … Mais s’il prend le dix heures quarante-cinq, il sera ici dans un quart d’heure. Si j’allais au-devant de lui ? On peut sortir, Ernest ? En douce ?

Ernest. — Faudra toujours passer devant le concierge.

Fanny. — Qui est-ce, le concierge ?

Ernest. — Oncle Uriah.

Fanny. — Flûte ! Et par la petite porte du parc ?

Ernest. — Y a d’la méfiance, rapport à la maison du jardinier.

Fanny. — Qui est le jardinier ?

Ernest. — Papa !

Fanny. — Crotte !

Ernest rit. Bennett est entré, a entendu. Il saisit Ernest par l’oreille et le mène à la porte.

Ernest. — Eh là ! Hou…

Bennett. — Quand il arrivera à votre cousine d’oublier sa position, vous ferez en sorte de vous en souvenir. Filez ! (Sortie précipitée d’Ernest.) Il y a une personne en bas qui, soi-disant, passait dans le voisinage et qui demande à vous voir.

Fanny joue mal la surprise. — Moi ? Non ?

Bennett, ironique. — Je pensais bien que vous seriez étonnée. Il se dit de vos amis et répond au nom de Newte.

Fanny, même jeu. — George ? Tiens ? Mais oui, en effet ! Ah ! le monde est petit ! Priez-le de monter, voulez-vous ?

Bennett. — Mon intention, après vous avoir prévenue comme m’y oblige mon devoir, est de faire servir à cette personne un verre de bière à l’office et de la renvoyer d’où elle vient.

Fanny, suffoquée. — Écoutez, mon oncle ! Pas de malentendu entre nous. J’accepte d’être mise sous le boisseau, s’il n’y a pas moyen de faire autrement, mais je n’admettrai jamais qu’on insulte mes amis. Priez M. Newte de monter jusqu’ici.

Un temps.

Bennett. — Je considérerai comme mon devoir d’informer lord Bantock de la visite de M. Newte.

Fanny. — Pas la peine ! J’espère que M. Newte restera dîner avec nous.

Bennett sort.

Fanny le suit, à la cantonade. — Et veillez à préparer la meilleure chambre, entendez-vous ! Pour le cas où M. Newte pourrait passer la nuit. (Elle revient en scène.) Et voilà !

Elle se met au piano et joue un air récent, de ces airs aussi répandus qu’inappropriés. Entre George P. Newte, introduit par Bennett. Un brave garçon, cigare — et quel ! — au bec. Fort rouge, mis avec un soin extrême, selon les règles de l’élégance en vogue chez les bookmakers qui réussissent.

Bennett annonce. — Monsieur Newte.

Fanny, enthousiaste. — Hello ! George !

Newte, cordial. — Hello ! Fan ! (Puis remarquant la robe longue de Fanny.) Mais dis donc, qu’est-ce que tu as fait de tes jambes ?… Oh ! pardon ! (Se modérant.) Lady Bantock, je passais justement dans les environs…

Fanny. — Quelle bonne idée vous avez eue…

Newte. — Ben… oui… n’est-ce pas… puisque le hasard…

Fanny. — Bien sûr ! Bien sûr !

Newte. — Alors, dame, je me suis dit… (Il aperçoit Bennett qui attend et lui donne son chapeau, sa canne. Bennett n’est pas encore satisfait. Il prend sur la table un petit plateau en chêne et le présente avec insistance.) Pardon !… (Newte cherche ce que cela veut dire. L’idée d’un pourboire lui vient.) Drôle de coutume… Enfin…

Il met la main au gousset et dépose une pièce sur le plateau.

Bennett, méprisant, laisse tomber la pièce sur la table. — Le fumoir est au rez-de-chaussée.