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sions d’élucider ces problèmes familiaux. Pour l’instant, lady Bantock doit s’habiller pour le dîner.

Mrs Bennett, au sommet de la stupeur. — Lady Bantock !

Honoria. — Oh ! (Aigre.) Elle aurait pu, tout au moins, nous avertir de l’honneur qui nous est fait.

Mrs Bennett. — En effet. Pourquoi n’a-t-elle pas écrit ?

Fanny. — Parce que j’ignorais tout ! Sans cela, pensez-vous que je l’aurais épousé ? Pour qu’il me ramène près de vous ? Croyez-vous donc que je ne puisse vivre loin de vous tous sans en mourir ?

Mrs Bennett. — Mais vous deviez bien savoir que lord Bantock…

Fanny. — Lord Bantock ? J’ai épousé Vernon Wethrell, artiste peintre. Rien de plus. Il m’a caché son titre. Il voulait être sûr de moi. Et voilà dans quelle situation ridicule…

Ernest, très jeune valet de pied, vient d’entrer avec un panier de bois.

Ernest, ahuri, reconnaissant Fanny. — Fanny !

Il la contemple bouche bée. Elle l’aperçoit.

Fanny. — Hello ! Ernest ! Comment vas-tu ? (Elle l’embrasse.) Toujours grand chasseur de lapins, vieux garçon ?

Bennett, à Ernest. — Ne restez pas là, sidéré. J’ai sonné pour que vous apportiez du bois. Et prévenez votre frère que lady Bantock est arrivée (Ernest laisse choir son panier de bois.) et que le dîner est pour huit heures et quart.

Ernest, yeux ronds sur Fanny, sort gauchement, à reculons. — Oh ! Fanny !

Fanny. — Je suppose qu’il faut m’habiller pour le dîner. Où dînerai-je ? Avec lord Bantock ? Ou à l’office avec les domestiques ?

Mrs Bennett. — Toujours sa même impertinence !

Fanny. — Je m’informe, simplement. Mon seul désir est de vous donner toute satisfaction.

Bennett. — Ce sera très facile. Croyez-moi, la situation est d’importance. Il ne faut rien compromettre. Pendant le dîner, vous n’aurez qu’à me regarder de temps à autre. Mon regard vous fixera sur ce que vous devez faire ou ne pas faire.

Mrs Bennett. — La plus grande exactitude aux repas est de rigueur. J’ai décidé qu’Honoria serait votre femme de chambre.

Fanny. — Honoria ?

Mrs Bennett, prête à mordre. — Vous y faites une objection ?

Fanny. — Grands dieux ! Puisque ce choix vous satisfait tous, allons-y pour Honoria !

Mrs Bennett. — Souvenez-vous aussi que vous n’êtes pas au music-hall. Moins d’exclamations. Moins de gestes. Parlez plus bas.

Fanny. — C’est tout ?

Mrs Bennett. — Dans le moment de vous habiller pour le dîner de Bantock-Hall, rappelez-vous où vous êtes et qui vous êtes. Nos conseils sur ce point vous seront précieux.

Bennett. — Vous n’aurez qu’à obéir à votre tante sur tous les points.

Il sort.

Mrs Bennett. — Êtes-vous prête ?

Fanny. — Tout à fait prête, chère tante. Évidemment, les robes que j’ai apportées sont à la toute dernière mode. Je ne suis pas sans inquiétude sur votre opinion à leur endroit.

Mrs Bennett, imperméable à l’ironie. — Nous ferons pour le mieux. (Elle sort avec Honoria vers l’appartement de Fanny. Celle-ci va pour les suivre, mais l’entrée d’Ernest la fait revenir sur ses pas. Elle va vivement au bureau, écrit quelques lignes, appelle Ernest à voix basse.)

Fanny. — Mon petit Ernest, écoute… As-tu toujours ton vélo ?

Ernest. — Oui !

Fanny. — Bon. Enfourche-le et va expédier ce télégramme avant huit heures et demie. Pas au village. En ville. C’est très important. Peux-tu le faire ? Il y a un souverain pour toi. Et en cachette, bien entendu…

Ernest. — Oh ! ce qui peut m’arriver de pire, c’est une eng… en règle…

Fanny. — Et c’est moins rare que les souverains ici, hein ? (Elle lui donne la dépêche.) Peux-tu lire ?

Ernest. — George P. Newte

Fanny. — Chut !

Ils regardent tous deux vers la porte entr’ouverte.

Ernest continue à voix plus basse. — …72, Waterloo Bridge Road, Londres. Il faut que je te voie tout de suite. Viens. Fanny.

Fanny. — Ça va. Sauve-toi, je te rappellerai tout à l’heure.

Mrs Bennett, de la chambre de Fanny. — Allez-vous nous faire attendre toute la nuit ?

Ernest rapidement enfouit le télégramme.

Fanny. — Voilà, chère tante, voilà. (À Ernest.) Pas un mot à personne ! (Elle le fait sortir vivement et ferme la porte.) Je remettais un peu d’ordre dans cette pièce. (Elle ramasse son chapeau, son manteau, son sac.) J’ai pensé que cela vous serait agréable. Je suis désolée de vous avoir fait attendre. (Elle va vers la porte avec, sur le bras, son paquet de vêtements. Honoria paraît sur le seuil… les mains oisives.) Après vous, Honoria, après vous…

Honoria sort à nouveau. Fanny, encombrée de vêtements, la suit, dans une ironique soumission.


RIDEAU