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ce sens que le Prophète, emporté par l’impatience naturelle à l’homme, en voyant les pécheurs dans l’abondance et possesseurs des richesses temporelles, leurs fils comme de nouvelles plantes dans leur jeunesse et leurs filles ornées comme des temples, leurs celliers si remplis qu’ils regorgent les uns dans les autres, leurs brebis fécondes et couvrant les chemins de leur multitude, et les autres richesses qu’énumère tout au long le psaume cent quarante-trois, éclate en cris plaintifs et pleins de douleur. Pourquoi, Seigneur, voyez-vous ces contempteurs de la justice, et gardez-vous le silence, pendant que l’impie foule aux pieds celui qui est plus juste que lui ? pourquoi rendez-vous les hommes semblables aux poissons de la mer et à des reptiles qui n’ont pas de chef ? Le psaume soixante-douze contient quelque chose d’approchant : « Mes pieds ont failli se dérober sous mon corps, et je suis presque tombé en marchant », [1], et la suite, avec ces paroles du même psaume : « Le Très-Haut a-t-il véritablement la connaissance de toutes choses ? Voilà les pécheurs dans l’abondance des biens de ce monde, ils ont acquis de grandes richesses », jusqu’à « mes mains », [2]. C’est là le langage de ceux qui ne considèrent pas que les jugements de Dieu sont impénétrables, que l’abîme des trésors de sa sagesse et de sa science est insondable, [3] que les vues de Dieu ne sont pas celles de l’homme, [4]. L’homme ne voit que le présent, Dieu connaît l’avenir et l’éternité. C’est comme si un malade, dévoré des ardeurs de la fièvre, demandait de l’eau froide, et disait au médecin Je souffre la violence, on me crucifie, on me brûle, on m’arrache la vie ; jusques à quand, ô médecin, crierai-je vers vous sans que vous m’entendiez ? et que le médecin, plein de sagesse et de bonté, lui répondît : Je sais en quel temps il faudra vous accorder ce que vous demandez ; je n’ai pas compassion de vous en ce moment, parce que cette compassion serait de la cruauté, puisque votre volonté est l’ennemie de votre salut. C’est ainsi que le Seigneur notre Dieu, sachant le poids et la mesure de sa clémence, parfois n’écoute pas celui qui crie vers lui, pour l’éprouver, pour le pousser à le supplier davantage, pour le rendre plus juste et plus pur comme en le faisant passer par le feu. L’Apôtre, qui considère les épreuves comme des grâces obtenues de Dieu, s’écrie : « Ne faiblissons pas dans les tribulations ; » [5] ; il bénit Dieu en tout temps ; [6] ; il sait qu’il n’y aura de sauvé que celui qui persévérera jusqu’à la fin ; [7] ; il se glorifie dans les travaux et la douleur ; et il dit avec Jérémie : « J’invoquerai l’affliction et les maux », en sorte que, comme un autre invoque Dieu, le saint et le guerrier invincible souhaite la venue de l’affliction et des maux, pour y trouver un exercice salutaire et y éprouver ses forces.


« Si l’on juge une affaire, c’est la passion qui la décide. De là vient N que la loi est déchirée, et que l’on ne rend jamais la justice, parce que le méchant l’emporte sur le juste, et que les jugements sont corrompus. » [8]. Les Septante : « Le jugement a été

  1. Psa. 72, 2
  2. Id. 11-12
  3. Rom. 11, 1
  4. 1Sa. 16, 1
  5. Eph. 3, 13
  6. Psa. 33, 1
  7. Mat. 10, 22
  8. Hab. 1, 3-4