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Le chancelier sortit en saluant et Guillaume II après avoir réfléchi quelques secondes se tourna vers son fils et lui dit :

« Alors vous persistez à ne pas vouloir aller occuper votre poste au front à Verdun ?

« Voyons, mon père, maintenant que le chancelier n’y est plus nous pouvons causer librement, où diable avez-vous l’idée de m’envoyer faire triste figure à Verdun ? Vous voyez bien que les Français se moquent de nous et que ces cochons-là ne se laisseront jamais battre. Envoyez-moi sur le front russe, là au moins il y a moyen de moyenner.

« Décidément, Monsieur, dit le Kaiser avec un sourire de mépris, il en est de vous pour les champs de batailles comme pour les femmes, vous aimez les victoires faciles.

« Et pourquoi pas ? répondit le Kronprinz en emplissant sa coupe de champagne, si j’aime les victoires faciles, vous affectionnez les impossibilités, vous semblez l’avoir prouvé en voulant cette guerre.

« Vouloir cette guerre ! s’écria Guillaume II, n’ai-je pas dit publiquement que je ne l’avais pas désirée, et ne vous ai-je pas promis votre bâton de maréchal le jour où vous prendriez Verdun.

« Vous n’avez pas voulu cette guerre et vous avez promis, deux belles phrases que l’histoire se chargera de prouver, dit le prince. Vous avez promis à la Belgique de respecter sa neutralité, aux États-Unis de prendre en considération leurs justes réclamations. Promis, mais à quoi cela pourrait-il vous servir, on ne vous croirait pas,

« Et cependant, fit l’empereur avec rage.

« Il n’y a pas de cependant, mon père, que voulez-vous que j’aille faire dans le Nord de la France ? Nos soldats n’ont pas laissé une bouteille de vin à boire. Quant aux femmes, c’est à peine s’ils ont eu la délicatesse d’en laisser quelques-unes d’intactes pour leurs officiers.

« Alors vous prétendriez que nos soldats ne sont que des hordes de barbares, s’écria Guillaume II avec rage.

« Moi, je ne prétends rien, je constate, voilà tout, répondit le Kronprinz en allumant une cigarette.

À ce moment la porte s’entrouvrit donnant passage à Reindflesh qui précédait le Comte von Bernstorff.

« Vous savez pourquoi je vous fais venir et vous acceptez ? dit Guillaume II à l’ex-ambassadeur.