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Il faut avoir besoin de gagner sa croûte de pain pour se livrer à une vie semblable. C’était parfois d’une monotonie écrasante, surtout l’hiver, lorsque terrés dans des grottes comme des bêtes fauves, ou vivant dans des huttes comme les hommes des chantiers, n’ayant le soir qu’une lanterne pour nous éclairer, nous ne savions parfois comment tuer le temps et la température s’en mêlant, nous ne pouvions sortir travailler au dehors.

« Ah ! mon bon ami, je regrettais bien alors les beaux jours d’autrefois, les heures d’études passées auprès d’un bon feu et les bibliothèques dans lesquelles je faisais mes recherches. J’avais bien avec moi un petit matériel chimique pour faire des recherches, mais le laboratoire rudimentaire que je m’étais construit était insuffisant et c’était tout juste assez pour procéder à de simples analyses.

« Or j’étais cette fois-là à la tête d’une équipe d’ingénieurs et d’ouvriers. Depuis huit longs jours nous avions eu un temps épouvantable, d’abord de la pluie, puis de la neige et un vent à ne pouvoir se tenir debout.

Profitant d’un jour que le temps semblait d’avoir des intentions de se mettre au beau, je voulus en profiter afin de prendre un peu d’exercice et donner à mes membres le mouvement qu’ils réclamaient. Je dis à mes hommes que j’allais voir dans les environs si je ne trouverais pas du gibier, car nous étions à court de viande fraîche.

Je saisis donc mon fusil et allègrement je prenais le chemin de la montagne.

Le gibier qui généralement était très abondant en cet endroit, ce matin-là était d’une rareté désespérante. Ne voulant cependant pas revenir bredouille au camp et croyant que je trouverais ce que je cherchais sur les crêtes escarpées qui étaient au-dessus de moi, je m’élançais dans un sentier débouchant à un endroit où j’avais d’un côté un mur de pierre coupé presqu’à pic et de l’autre un précipice. Devant mes yeux se déroulait un panorama de toute beauté. À mes pieds, mais à une hauteur vertigineuse, je pouvais voir notre campement et mes compagnons qui m’apparurent comme des pygmées. Au loin et bordant l’horizon, des montagnes immenses qui, se découpant dans l’azur du ciel, toutes blanches de neige, leurs glaciers miroitant aux rayons du soleil, prenaient un aspect vraiment féérique que le pinceau d’un peintre — même très habile — aurait eu de la difficulté à reproduire.