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échalote et ses amants

ventes et de ses achats à découvert le grisèrent vite. Il voulut jouir d’un gain qui n’existait que sur le papier et, brûlant ses vaisseaux pour couvrir des dettes semées un peu partout, exigea de son système plus qu’il ne pouvait donner. L’argent de M. Lapaire se trouva ainsi englouti. Des paroles aigres-douces s’échangèrent entre les deux associés. M. de Flibust-Pélago avait beau objecter : « En 1881, j’ai confié mon secret à M. Pierpon Morgan. Eh bien, monsieur, son coffre-fort s’en est enrichi, en trois mois, de plus de cent trois millions », M. Lapaire n’avait qu’une réponse : « Il faut vous trouver une nouvelle vache à lait. Vous m’avez bien monté le bourrichon, vous pouvez le monter à d’autres. En attendant je ne vous lâcherai pas jusqu’à ce que vous m’ayez restitué mes vingt-cinq mille balles. » Et, pour permettre aux jambes plus que septuagénaires du chevalier de se livrer au steeple du capital et de la commandite, il surveillait ses repas, lui versait des quinquinas généreux et, pour suppléer aux offices de ses dents disparues et ménager son estomac, lui avait offert un masticateur mécanique. M. de Flibust-Pélago, l’appareil en main, pouvait continuer ses discours et broyer sa viande simultanément. Toutefois il gémissait sur ses infirmités de vieillesse, ses dents absentes et son ventre en bateau. Sa maigreur lui faisait pitié à lui-même.

— Eh ne geignez donc pas comme ça, — lui lançait M. Lapaire. — De quoi vous plaignez-vous ? De faire du rabiot ? Mais, mon cher, à votre âge nous serons tous morts.

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