Page:Jeanne Landre-Echalote et ses amants 1909.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
le restaurant robinet

millions à lui, à l’époque de sa richissime épouse, il terminait en additionnant lui-même les plats demandés : « Un demi-setier : 0 fr. 20 ; un bouillon-légumes : 0 fr. 20 ; une demi-blanquette : 0 fr. 30 ; un pruneau 0 fr. 15 ; pain 0 fr. 05 ».

— Tenez, garçon, ça nous fait dix-huit sous.

— C’est bien ça, monsieur le chevalier.

Il tendait un franc.

— Voilà, gardez pour vous la monnaie.

Après quoi, tout en pilonnant son croûton de pain dans le reste de son picolo, il reprenait ses conférences :

— C’était en 1861, monseigneur le prince Victor…

L’éloquence rétrospective et de bon ton de M. de Flibust-Pélago avait eu le don d’emballer M. Lapaire qui y voyait une nouvelle preuve de la supériorité intellectuelle des vieilles races sur nos jeunes couches irrespectueuses et laïques. Il avait transcrit son admiration de la manière la plus sensible au chevalier en s’intéressant à un projet que celui-ci mûrissait et qui n’était rien moins qu’un camouflet à donner à tous les agents de change, coulissiers et marchands d’argent, si une première mise de fonds permettait à son inventeur de révolutionner le monde de la finance et de stupéfier la Bourse. M. Lapaire avait allégé la sienne de vingt-cinq mille francs. C’était suffisant, non seulement pour un début, mais pour la suite des opérations, à condition que les opérateurs fussent prudents. Malheureusement, M. de Flibust-Pélago ne le fut pas. Les premiers bénéfices de ses reports, de ses

* 81 *