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ohé ! ohé ! les pierrettes !

dorées. Dans ce coin de maison les pommes de terre crépitent, là-bas les limandes, plongées dans la graisse chaude, empuantent l’atmosphère, plus loin, et toujours en plein air, se rangent les chapelets de saucisses cuites, les artichauts épanouis par l’ébullition et les tartes poussiéreuses. Ceux qui n’ont pas de domicile ou perchent dans les hôtels borgnes peuvent, de l’un à l’autre étalage, acheter et grignoter de quoi satisfaire leur estomac complaisant. Ils auront dépensé quelques sous et ne mourront pas de faim et, s’ils veulent compléter ces agapes sommaires d’un petit noir à la chicorée, le bar voisin leur servira un jus trouble et sucré pour dix centimes. C’est le record de la subsistance à prix réduit, dans le cadre le plus pittoresque, le plus populeux, avec l’audition gratuite d’orgues de Barbarie et d’orchestres ambulants.

Tout n’a pas été dit sur Montmartre. Personne n’a en son pouvoir de dépeindre une parcelle privilégiée du globe où l’esprit se transforme et évolue selon les générations, où l’art libre et la jeunesse indépendante ont droit de cité et d’où la gaîté et l’amour, déesse et dieu acclimatés sur une colline, font la chasse à la sottise des foules et au gâtisme des pontifes à l’aide des engins les plus perfectionnés de la rosserie et de la blague.

Toutefois le domaine réel de la fantaisie y a, depuis quelques années, subi des atteintes. La curiosité des bourgeois, l’avidité des industriels spéciaux ont empiété sur cette propriété qui n’était à personne et

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