Page:Jeanne Landre-Echalote et ses amants 1909.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
échalote et ses amants

Voyez donc ici, cher docteur, une pièce anatomique d’un nouveau genre, et considérez les phénomènes de la rue Lepic comme autant de sujets d’amphithéâtre et de laboratoire.

L’être humain a ses loupes, ses kystes et ses tares. La société, elle aussi, a ses fibrômes. Elle les supporte, faute de mieux, et parce que les chirurgiens en ce genre ne se sont pas encore révélés. Seul, M. Bérenger tente de manier le scalpel moral : il n’y réussit qu’à rebours puisque, telles les têtes de l’Hydre, les vices poussent plus drus quand ils sont entaillés.

Peut-être s’étonnera-t-on que des pages sur le monde spécial où triomphe toujours Échalote aient été écrites par une femme. D’après les pontifes nous devrions nous contenter des petits romans domestiques à l’usage des pensionnats, et le féminisme, tout en nous octroyant une émancipation intégrale, une existence de garçon manqué et des ambitions de conseillers municipaux, n’admet pas que nous parvenions à ces faveurs sans la grâce et les minauderies qui laisseront la députée et la sénatrice femmes tout de même, c’est-à-dire un peu compliquées et très coquettes.

Bah ! je ne suis pas féministe et je vois mal à travers une voilette.

Que les hommes me pardonnent d’oublier mon devoir de dissimulation et de mine guindée.

Et vous, docteur, qui avez la belle indulgence des esprits solides, gardez-moi une amitié dont je suis fière.

Jeanne Landre.