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adonis’s bar

retourner vers la nature aimable, mais uniquement vers la charogne.

Quand ils pénétrèrent chez Adonis la musique et les chants animaient l’atmosphère. Des mandolinistes napolitains jouaient les dernières valses d’amour et Bobette, un pseudo jeune homme de trente-cinq printemps, sanglé dans un complet tourterelle, les joues enluminées de carmin artificiel et les cheveux décolorés, roucoulait, entre les morceaux d’orchestre, des romances particulières à la maison où les habituels cœurs et âmes étaient remplacés par des organes plus extérieurs et plus palpables. M. Manon, maigrelet de torse mais de croupe copieuse, et M. Lucienne, plus dodu et non moins callipyge, l’accompagnaient, en un coin du bar, de danses expressives et obscènes, tandis que M. Otero, le vétéran du bataillon, vieux, laid, ridé comme une pomme sèche, parachevait la mimique de gestes infâmes et d’œillades encourageantes et miteuses. Sur une banquette M. Cléo de Mérode, joli celui-là avec son visage exotique et ses cheveux bruns plaqués en bandeaux, s’étendait nonchalamment sur une sorte de gentleman à tête de palefrenier et M. Émilienne d’Alençon, modiste à ses heures, terminait, sous les yeux d’une vieille comtesse tournée à l’entremetteuse, une charlotte destinée à une femme du monde. Plus loin un pamphlétaire célèbre caressait une sorte de gamin affublé d’une chemise à jabot et d’un collier d’ambre. Ici un de ces innommables phénomènes se polissait les ongles, là un autre se tamponnait de poudre de riz. Près d’eux,

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