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ADRIEN.

À qui dois-je bien de m’avoir dénoncé ?

FLAVIE.

Nous étions au palais, où César empressé
De grand nombre des siens, qui lui vantoient leur zèle
À mourir pour les dieux ou venger leur querelle.
« Adrien, a-t-il dit d’un visage remis,
» Adrien leur suffit contre tant d’ennemis,
» Seul contre ces mutins il soutiendra leur cause ;
» Sur son unique soin mon esprit se repose :
» Voyant le peu d’effet que la rigueur produit,
» Laissons éprouver l’art où la force est sans fruit ;
» Leur obstination s’irrite par les peines ;
» Il est plus de captifs que de fers et de chaînes :
» Les cachots trop étroits ne les contiennent pas ;
» Les haches et les croix sont lasses de trépas ;
» La mort, pour la trop voir, ne leur est plus sauvage ;
» Pour trop agir contre eux, le feu perd son usage ;
» En ces horreurs enfin le cœur manque aux bourreaux,
» Aux juges la constance, aux mourans les travaux.
» La douceur est souvent une invincible amorce
» À ces cœurs obstinés, qu’on aigrit par la force. »
Titien, à ces mots, dans la salle rendu,
« Ah ! s’est-il écrié, César, tout est perdu. »
La frayeur à ce cri par nos veines s’étale,
Un murmure confus se répand dans la salle :
« Qu’est-ce ? a dit l’empereur, interdit et troublé,
» Le ciel s’est-il ouvert ? le monde a-t-il tremblé ?
» Quelque foudre lancé menace-t-il ma tête ?
» Rome d’un étranger est-elle la conquête ?
» Ou quelque embrasement consomme-t-il ces lieux ? »
« Adrien, a-t-il dit, pour Christ renonce aux dieux. »