Ses jours nous séparaient, et son trépas nous joint.
Quelque part que pour vous mon cœur prit en sa flamme, [975]
Je ne vois que sa veuve et n'ai point vu sa femme :
Enfin un même soin nous fait trouver ici ;
Ce que mène Antigone amène Argie aussi.
Antigone, ma sœur, quelle première vue !
Qui l'eût imaginée, ou qui l'eût attendue ? [980]
Que pour nous la fortune, a de fausse douceurs !
Commençant de nous voir, nous cessons d'être sœurs :
Je n'ai pu vous montrer la sensible allégresse
De me voir jointe à vous que quand le cause en cesse ;
Encore en ce malheur dois-je bénir le sort [985]
Qui me montre la sœur lorsque le frère est mort.
Au défaut de l'objet, son image contente ;
Encore vois-je de lui quelque chose vivante :
Vos corps furent formés dedans le même flanc ;
Vous ne fûtes qu'un cœur, et qu'une âme et qu'un sang. [990]
Ce n'est pas sans raison que sa perte m'est dure ;
L'amitié nous joignit bien plus que la nature.
Aussi, ma chère sœur, les dieux m'en sont témoins,
Son trône était l'aimant qui l'attirait le moins :
Ni repos, ni pays, ni mère, ni couronne, [995]
Ne lui fut en objet à l'égal d'Antigone ;
Jour ni nuit n'ont passé qu'il ne parlât de vous,
Et non sans que mon cœur en fût un peu jaloux ;
Car, à voir quelle part nous avions en son âme,
Je paraissais sa sœur et vous sembliez sa femme : [1000]
Mille fois pour vous voir il a de ces remparts