L'ordonnance avec soi porte sa fin expresse ; [830]
C'est à nous qu'elle parle, à nous qu'elle s'adresse :
La racine arrachée, et les arbres détruits,
Le cruel veut encore exterminer les fruits.
Or, il est temps, ma sœur, de montrer qui nous sommes,
Et qui peut plus sur nous ou des dieux ou des hommes ; [835]
C'est ici que le sang et la condition
Ne nous permettent pas une lâche action ;
La vertu doit ici forcer la tyrannie ;
Peut être que plus faible elle sera punie.
Mais de tant de tourments que nous livre le sort, [840]
Il ne peut être après tout qu'arriver une mort :
Enfin, exprès, ma sœur, j'ai voulu qu'Hémon même,
Qui prend mes intérêts et qui sans feinte m'aime,
Pour ne s'opposer pas à ce triste devoir,
Nous laissât le lieu libre et n'en pût rien savoir. [845]
Dieux, que proposez-vous, et que pouvons-nous faire,
Que ne soit inutile au repos de mon frère ?
Acquittons au moins selon notre pouvoir;
Mais, ma sœur, l'impuissance excuse le devoir.
Quoi ! Vous défendez-vous d'un si pieux ouvrage ? [850]
L'espérance me manque, et non pas le courage.
Quand l'une peut manquer, l'autre est bien imparfait.