Elle est mienne, et le sang par deux fois me la donne.
Apporte, cette vue hâtera son trépas;
Ma tête achèvera l'office de mon bras. »
Il s'approche à ces mots, lui veut ôter l'épée ; [750]
Mais sa main est à peine à cette œuvre occupée,
Que l'autre, ramassant un reste de vigueur
Que la haine entretient à l'entour de son cœur,
Retire un peu le bras, puis, le poussant d'adresse,
Lui met le fer au sein que mourant il y laisse. [755]
Polynice, à ce coup, mortellement atteint,
Une froide pâleur s'emparant de son teint:
"Quoi ! Ta rage, dit-il, n'est donc pas assouvie,
Et tes déloyautés ont survécu ta vie ?
Ta perfidie arrête où ton âme n'est pas ? [760]
Attends-moi, traître, attends, je vais suivre tes pas,
Et, plus ton ennemi que e ne fus en terre,
Te porter chez les morts une immortelle guerre ;
Là, nos âmes feront ce qu'ici font nos corps ;
Nous nous battons vivants, et nous nous battrons morts." [765]
Avec que ce discours il achève sa vie ;
La lumière de ses yeux est pour jamais ravie ;
Et nous, le cœur transi de frayeur et d'ennui,
Demeurons sur-le-champ presque aussi morts que lui.
Que votre mort, ma mère, est un bien que j'envie, [770]
Et qu'il me serait doux de vous avoir suivie !
Venez voir, cher Hémon, si le ciel en courroux
Peut lâcher quelque trait qu'il n'ait lâché sur nous...
Entrez en cette chambre.
Hémon sort.